3 juillet 2023 | USCIRF

La visite du rapporteur spécial des Nations unies sur la liberté de religion ou de conviction offre une occasion unique de renforcer l’engagement et le potentiel de réforme positive.

La rapporteuse spéciale des Nations unies sur la liberté de religion ou de conviction, Nazila Ghanea, a achevé la semaine dernière sa première visite officielle au Tadjikistan. Cette visite intervient près de deux ans après que son prédécesseur a annuléun voyage prévu dans le pays, le gouvernement n’ayant pas envoyé d’invitation officielle. La visite de Mme Ghanea est une nouvelle occasion pour le Tadjikistan de remédier à ses nombreuses lacunes en matière de protection du droit fondamental à la liberté de religion ou de conviction. Depuis 2012, la Commission des États-Unis pour la liberté religieuse internationale (USCIRF) a recommandé au Département d’État américain de désigner le Tadjikistan comme « pays particulièrement préoccupant » (CPC), en raison de ses violations systématiques, continues et flagrantes de la liberté de religion. Le Département d’État a désigné le Tadjikistan comme CPC depuis 2016, et plus récemment en novembre 2022.

En 2009, la liberté de religion au Tadjikistan a fortement diminué après l’adoption par le gouvernement de plusieurs lois très restrictives. Les groupes religieux ont soudain dû se soumettre à une procédure d’enregistrement plus lourde et plus intrusive qui, en cas de refus, rendait leurs activités religieuses illégales et les exposait à un risque personnel élevé d’amendes, voire de prison. Plus choquant encore pour les familles, l’interdiction faite aux enfants de participer à des activités religieuses organisées, telles que les prières ou l’éducation. Aujourd’hui, le gouvernement continue de contrôler et de surveiller toutes les activités religieuses, y compris la publication ou la vente de littérature religieuse, le port de vêtements religieux et d’autres expressions extérieures de dévotion. Il réprime également la liberté religieuse sous le couvert d’accusations d' »extrémisme » portées contre des individus pour la pratique non violente de leur foi. Par exemple, en juillet dernier, l’imam Muzaffar Davlatmirov a été arrêté, inculpé à la hâte, puis condamné lors d’un procès secret pour « appel public à des activités extrémistes » après avoir organisé des prières funéraires pour des manifestants tués par le gouvernement. Il a été condamné à cinq ans de prison. De même, les autorités emprisonnent le témoin de Jéhovah Shamil Khakimov depuis 2019 sur la base d’accusations fallacieuses d' »incitation à la haine religieuse ».

Au cours de la dernière décennie, la répression religieuse au Tadjikistan a surtout touché la population musulmane majoritairement sunnite. Toutefois, au cours de l’année écoulée, le gouvernement a commencé à sévir contre la minorité musulmane chiite ismaélienne, en fermant des écoles et des librairies religieuses et en interdisant les réunions de prières privées. En outre, la petite population chrétienne du pays éprouve des difficultés à faire enregistrer ses communautés et est donc contrainte de pratiquer son culte en secret. La visite du rapporteur spécial des Nations unies dans le pays offre l’occasion de mieux comprendre les conditions auxquelles sont confrontées les communautés religieuses au Tadjikistan.

L’engagement avec le rapporteur spécial des Nations unies et d’autres acteurs internationaux a joué un rôle clé dans la promotion de la liberté de religion ou de conviction dans d’autres pays de la région. Par exemple, en 2017, l’Ouzbékistan a accueilli la visite du rapporteur spécial de l’époque, Ahmed Shaheed, dont les recommandations visant à améliorer le paysage de la liberté religieuse dans le pays ont conduit le gouvernement ouzbek à adopter une « feuille de route » pour la réforme. L’Ouzbékistan a largement mis fin aux descentes de police contre les minorités religieuses, a consulté des experts internationaux pour réviser sa propre loi sur la religion, qui pose problème, et a assoupli certaines restrictions à la capacité des groupes religieux de pratiquer et d’exprimer leurs croyances. Bien que l’Ouzbékistan continue de violer gravement la liberté de religion, notamment en emprisonnant des musulmans pour des activités religieuses « non autorisées », ce qui a conduit l’USCIRF à recommander son inscription sur la liste de surveillance spéciale (SWL) du département d’État, son gouvernement a néanmoins réalisé des progrès perceptibles qui, espérons-le, se poursuivront.

De même, depuis 2019, le Kazakhstan s’est engagé avec les États-Unis sur ces questions par l’intermédiaire du groupe de travail américano-kazakhstanais sur la liberté religieuse, un forum de discussion sur sa législation restrictive, les prisonniers de conscience religieux et le ciblage des personnes qui n’adhèrent pas aux religions « traditionnelles » ou à l’islam sanctionné par l’État. Plus récemment, le groupe de travail a fourni des commentaires détaillés sur les amendements à la loi sur la religion de 2011 qui ont contribué à quelques changements modestes. L’USCIRF continue d’encourager le gouvernement du Kazakhstan à adopter des amendements supplémentaires avec les changements de grande envergure nécessaires pour se conformer aux normes internationales des droits de l’homme. Alors que le Kazakhstan continue de s’engager dans des conversations avec des acteurs internationaux, y compris l’USCIRF, ses réformes à ce jour restent insuffisantes pour que l’USCIRF cesse de recommander son inclusion sur la SWL également.

Les pays d’Asie centrale disposent encore d’une grande marge de manœuvre pour réformer leurs espaces respectifs de liberté de religion ou de conviction, et l’engagement sur ces questions clés constitue un premier pas important. La volonté du Tadjikistan d’accueillir le rapporteur spécial offre au gouvernement une occasion unique de recevoir les recommandations d’un expert indépendant, de réévaluer ses pratiques et d’aligner ses politiques sur les normes internationales en matière de droits de l’homme. Cette démarche serait dans l’intérêt du gouvernement et profiterait à ceux qui cherchent simplement à pratiquer leur culte librement et sans crainte au Tadjikistan.