15 mai 2023 | RD News Now

Une organisation caritative musulmane de base s’appuie sur des documents internes de l’Agence du revenu du Canada pour tenter de persuader un tribunal de l’Ontario qu’un audit fédéral de longue durée est fondamentalement entaché de préjugés systémiques et d’islamophobie.

L’Association musulmane du Canada demande à la Cour supérieure de justice de l’Ontario d’interrompre l’audit de l’association par l’agence du revenu, au motif qu’il viole les garanties d’égalité et de liberté de religion, d’expression et d’association prévues par la Charte des droits.

Les avocats de l’organisation caritative enregistrée prévoient d’argumenter lors d’une audience mardi que l’audit, qui a commencé en 2015, est discriminatoire à l’égard des musulmans.

Le gouvernement fédéral demande le rejet de l’affaire, estimant que la sélection de l’association par l’agence du revenu en vue d’un audit et l’examen qui s’ensuit ne violent pas les droits garantis par la Charte.
L’association, qui promeut le service communautaire, l’éducation et l’autonomisation des jeunes, affirme que plus de 150 000 Canadiens fréquentent ses mosquées, écoles et centres communautaires chaque année.

L’audience du tribunal intervient alors que la division “Examen et analyse” de la direction des organismes caritatifs de l’administration fiscale, qui effectue l’audit, fait l’objet d’un examen public.

Un rapport publié en 2021 par la Coalition pour la surveillance internationale des libertés civiles, basée à Ottawa, indique que la division collabore avec les agences de sécurité nationale pour réaliser ces audits, avec peu d’obligation de rendre des comptes ou d’examen indépendant.

À la suite de sa participation à un sommet national sur l’islamophobie en 2021, la ministre du Revenu, Diane Lebouthillier, a demandé au médiateur des contribuables, François Boileau, de procéder à un examen systémique des préoccupations des organismes caritatifs dirigés par des musulmans concernant leur traitement par l’Agence du revenu.

Toutefois, M. Boileau a récemment déclaré qu’en raison d’obstacles à l’accès aux informations pertinentes, il n’a pas pu examiner les questions “suffisamment en profondeur” pour évaluer l’existence d’un parti pris dans la manière dont l’agence des recettes applique ses procédures.

L’affaire portée devant le tribunal de l’Ontario devrait jeter un éclairage nouveau – et peut-être sans précédent – sur les pratiques de la division.

Dans un document écrit adressé à la Cour, le procureur général fédéral déclare que les conclusions préliminaires de l’audit de l’agence du revenu ont identifié “plusieurs problèmes sérieux” concernant le non-respect par l’Association musulmane du Canada de ses obligations en matière d’enregistrement d’œuvres de bienfaisance.

Il s’agit notamment de la participation aux activités politiques des Frères musulmans égyptiens, de l’achat de biens immobiliers considérables, du soutien apporté à une organisation figurant sur la liste des entités terroristes et de la délivrance de reçus de dons inappropriés, affirment les avocats fédéraux dans le dossier.

L’association, connue sous le nom de MAC, “n’a pas apporté de preuves crédibles qu’elle a été injustement ciblée par l’ARC, ni que l’ARC a traité MAC différemment d’un autre organisme de bienfaisance lors de l’audit”, peut-on lire dans le document.

Dans sa requête au tribunal, l’association déclare avoir fourni “une réponse détaillée” à l’agence du revenu, qui n’a pas encore rendu de décision finale sur l’audit. Toutefois, “consciente que les dés sont déjà jetés en raison d’un processus d’audit gravement défectueux”, l’association a également entamé un recours en vertu de la Charte.

L’organisation caritative estime que le gouvernement adopte d’emblée une approche erronée en identifiant le risque de financement du terrorisme avec des groupes minoritaires qu’il qualifie d’étrangers, en particulier les organisations musulmanes.

“Avec un tel point de départ, il n’est guère surprenant, bien que profondément décevant, que les musulmans canadiens soient tous mis sur le même plan et qu’une organisation comme le MAC, qui gère des mosquées et des écoles, soit considérée comme intrinsèquement suspecte parce que ses membres appartiennent au même groupe religieux que des organisations comme Al-Qaida”, peut-on lire dans le document.

Elle s’insurge également contre les documents de l’agence des recettes qui ont fait surface dans cette affaire – une analyse d’orientation de l’audit créée en préparation de l’examen et un “examen théorique” pour l’équipe d’audit afin de guider le processus.

L’association considère que ces deux documents sont très problématiques, car ils s’appuient largement sur des sources biaisées et islamophobes.

L’organisation caritative cite le témoignage d’un expert, Anver Emon, professeur de droit à l’université de Toronto et spécialiste de l’histoire du droit islamique, qui affirme que l’agence du revenu caractérise les Frères musulmans en s’appuyant sur des informations “sélectives, alarmistes, voire islamophobes par nature”.

L’association s’oppose à ce que l’agence des revenus s’inquiète d’une éventuelle affiliation idéologique avec les Frères musulmans égyptiens, sans faire de distinction entre les liens politiques avec le groupe en Égypte et l’idéologie religieuse sur laquelle les Frères musulmans sont fondés.

Le problème de cette approche est que si l’association suit l’idéologie religieuse de l’imam Hassan al-Banna qui a conduit à la création des Frères musulmans, “adopter l’idéologie religieuse des Frères musulmans n’est pas la même chose que soutenir l’idéologie politique des Frères musulmans égyptiens”, affirme l’association. Par conséquent, la division d’examen et d’analyse de l’agence du revenu a “confondu deux concepts totalement distincts”.

En tant qu’organisme de bienfaisance enregistré, le MAC comprend qu’il est soumis à l’audit de l’agence du revenu, mais il n’est “pas soumis à un audit qui l’oblige à respecter des normes différentes de celles des audits d’autres organismes de bienfaisance religieux”, ajoute le document.

“Pour parler franchement, l’audit actuel (de l’agence des recettes) est tellement entaché d’infractions à la Charte qu’il est irrécupérable”.