31 mai 2023 | Freedom of Conscience

Forum international sur la paix et les droits de l’homme
Liberté de religion ou de conviction : Un enjeu mondial
9 avril 2023
Salle de conférence de l’amphithéâtre Tsai, Faculté de droit, Université nationale de Taïwan

par Thierry Valle

Le cas des Tai Ji Men aux Nations Unies

CAP Liberté de Conscience fait partie de cette “troisième génération” d’ONG accréditées auprès de l’ONU. Chaque ONG, en fonction de son domaine d’expertise, peut intervenir soit à New York, soit à Vienne, soit à Genève.

CAP Liberté de Conscience a été créé il y a plus de 28 ans pour répondre aux atteintes à la liberté de religion, de conviction et de conscience au milieu des années 1990 en France, puis en Europe.

En 2016, nous avons obtenu le statut consultatif auprès de l’ONU, ce qui nous donne un accès privilégié aux mécanismes de l’ONU. Notre domaine d’expertise étant la défense des droits de l’homme, nous interagissons avec l’ONU à Genève où se trouvent les organes dédiés aux droits de l’homme.

Ainsi, il existe à Genève :

– Le Bureau du Haut Commissaire aux droits de l’homme, qui est composé de rapporteurs spéciaux ayant plus de 40 mandats thématiques, dont le rapporteur spécial sur la liberté de religion ou de conviction.

Il convient de mentionner ici que le 1er août 2022, le Dr. Nazila Ghanea a été mandatée par le Bureau du Haut Commissaire en tant que Rapporteuse spéciale sur la liberté de religion ou de conviction.

Outre les rapporteurs spéciaux, le Haut-Commissariat aux droits de l’homme met à la disposition des ONG de nombreux comités et groupes de travail qui examinent régulièrement les États membres.

– Le Conseil des droits de l’homme (CDH) est un organe intergouvernemental du système des Nations unies chargé de renforcer la promotion et la protection des droits de l’homme dans le monde. Il est également chargé d’examiner les situations de violation des droits de l’homme et de formuler des recommandations à leur sujet. Il peut examiner toutes les questions et situations relatives aux droits de l’homme qui requièrent son attention tout au long de l’année. Elle se tient à l’Office des Nations unies à Genève.

Le Conseil est composé de 47 États membres élus par l’Assemblée générale des Nations unies.

Le 18 juin 2007, un an après sa première réunion, le Conseil des droits de l’homme a adopté la résolution 5/1 qui définit les procédures, les mécanismes et les structures qui constituent la base de son travail. Parmi ces mécanismes, les organes subsidiaires suivants relèvent directement du Conseil des droits de l’homme :

Examen périodique universel

Comité consultatif

Procédure de plainte

C’est lors de ces sessions régulières que le CAP LC, soutenu par la coalition d’ONG vouées à sa défense, a soulevé le cas du Tai Ji Men à l’ONU.

En juin 2021, nous avons soumis notre première déclaration écrite au Conseil des droits de l’homme lors de sa 47e session pour dénoncer le harcèlement fiscal subi par les Tai Ji Men. Cette affaire reprenait un problème similaire en France que nous avions déjà dénoncé.

En 1996, l’arme fiscale a été utilisée en France suite à l’établissement par une commission parlementaire d’une liste de 172 mouvements qualifiés de “sectes”.

Sur la base de cette “liste noire”, une circulaire a été publiée pour encourager les fonctionnaires du ministère de la justice à utiliser cette arme fiscale pour affaiblir les communautés religieuses et spirituelles figurant sur la liste.

Cette même année, les Tai Ji Men ont été victimes d’une répression malheureuse des nouveaux mouvements religieux, lancée en grande partie pour des raisons politiques. Hong Tao-Tze, le fondateur et maître de l’école spirituelle, et ses membres ont par la suite été totalement acquittés de toute accusation criminelle.

Notre déclaration se conclut par la recommandation suivante :

“Nous représentons une ONG active dans le domaine de la liberté religieuse. Nous voyons tous les jours des cas de persécution religieuse où des vies humaines sont perdues. Il peut sembler que, comparées aux exécutions extrajudiciaires et aux tortures, les taxes ne sont qu’une question mineure.

Cependant, l’intolérance et la discrimination sont des étapes préliminaires qui conduisent souvent à des violations des droits de l’homme.

On craint aujourd’hui que les lois fiscales ne soient utilisées dans plusieurs pays pour discriminer les mouvements religieux et spirituels que certains hommes politiques, pour une raison ou une autre, n’apprécient pas.

La Cour européenne des droits de l’homme et les tribunaux des États-Unis d’Amérique ont déclaré qu’une telle utilisation du système fiscal était inappropriée et illégale. Pire encore, de nombreuses personnes n’ont aucun moyen de demander réparation, et même si elles le font, elles sont traitées de manière injuste et irrationnelle, ce qui rend le système de recours inefficace.

Nous demandons à tous les pays et à toutes les femmes et tous les hommes qui chérissent la liberté de religion ou de croyance de s’opposer fermement à l’utilisation abusive des impôts comme arme d’intolérance et de discrimination, et de défendre les droits humains fondamentaux garantis par la Déclaration universelle des droits de l’homme”.

La déclaration soumise ultérieurement a souligné que la forclusion était une arme de discrimination à l’encontre des minorités religieuses et spirituelles.

Nous avons fait remarquer au Conseil des droits de l’homme que “lareligion et la spiritualité vivent dans le cœur des croyants, mais elles créent des communautés, et les communautés ne peuvent exister sans lieux où elles peuvent se rassembler.Pour de nombreux groupes religieux et spirituels, ces lieux de rassemblement n’ont pas qu’une fonction. Les terres où les fidèles se rassemblent deviennent des terres sacrées. La religion et la spiritualité vivent dans le temps et l’espace. Elles séparent des portions de temps et d’espace du flux temporel et spatial quotidien, se les approprient et les investissent de significations spirituelles. Retirer leurs espaces aux mouvements spirituels, c’est couper leurs racines les plus profondes”.

Les nombreux cas similaires que nous avons répertoriés nous ont amenés à la conclusion qu’il y a aujourd’hui une grave augmentation des saisies et destructions de lieux de culte.

Nous avons également révélé un cas grave survenu à Taïwan, où un terrain destiné à l’autoculture du Tai Ji Men a été saisi, mis aux enchères, puis confisqué en 2020 après l’échec de deux ventes aux enchères.

Nous avons conclu que le cas des Tai Ji Men est un exemple clair de la tendance internationale à priver les minorités religieuses et spirituelles de leurs lieux de rassemblement et qu’elles ont besoin de lieux pour exister.

Ces lieux deviennent leurs espaces sacrés. Leur retirer ces espaces est l’un des pires exemples de discrimination.

Nous avons également dénoncé un autre aspect important de l’affaire Tai Ji Men : la corruption comme outil de violation des droits de l’homme et de la liberté religieuse.

CAP LC est informée de nombreux cas où la corruption a été utilisée pour violer les droits de l’homme et la liberté religieuse.

En effet, dans des pays comme la France et l’Allemagne, des associations dites “anti-sectes” peuvent intervenir au cours de la procédure judiciaire et la corrompre.

Dans une affaire pénale récente en Allemagne, les accusés ont été emmenés tôt le matin de leur communauté religieuse à un poste de police, où ils ont été interrogés par des membres d’une organisation privée de lutte contre les sectes.

Il est incontestable que la corruption est à l’œuvre dans l’affaire Tai Ji Men à Taïwan.

Le Tai Ji Men est un menpai (similaire à une école) de Qigong, d’arts martiaux et de culture de soi qui possède des académies à Taiwan et aux Etats-Unis. En 1996, le Tai Ji Men a fait partie des mouvements spirituels visés par une campagne de répression à motivation politique contre les groupes religieux accusés de ne pas avoir soutenu le candidat qui a finalement remporté l’élection présidentielle. Son chef, le Dr Hong Tao-Tze, sa femme et deux disciples ont été arrêtés, accusés de fraude religieuse et d’évasion fiscale.

Il s’agit d’un cas évident de corruption idéologique, comme le montre l’abandon des poursuites.

Dans une autre déclaration, nous avons mentionné l’incorporation du Pacte international relatif aux droits civils et politiques (PIDCP) et du Pacte international relatif aux droits économiques, sociaux et culturels (PIDESC) dans le droit interne taïwanais en 2019.

Du 9 au 13 mai 2022, la troisième conférence internationale d’examen des rapports nationaux des deux pactes s’est tenue à Taipei.

Un comité d’examen composé de neuf experts indépendants a été mis en place.

Le Comité s’est divisé en deux groupes :

l’une portant sur le PIDCP, présidée par Manfred Nowak, avocat autrichien spécialisé dans les droits de l’homme, qui a été rapporteur spécial des Nations unies sur la torture de 2004 à 2010,
et un autre avec le Pacte international relatif aux droits économiques, sociaux et culturels, présidé par Eibe Riedel, un universitaire allemand à la retraite qui a été membre du Comité des droits économiques, sociaux et culturels des Nations unies de 2003 à 2012.
Tous deux ont participé au processus d’examen du respect des deux pactes depuis 2013. Le 13 mai 2022, le Comité de révision a adopté une troisième série d’observations finales et de recommandations (COR 3).

Si le CdR 3 est utile pour montrer qu’il reste du travail à faire pour mettre pleinement en œuvre les deux pactes à Taïwan, comme c’est le cas ailleurs, l’absence de toute référence à la liberté de religion ou de croyance est surprenante.

Plusieurs acteurs de la société civile présents à la conférence d’examen ont évoqué l’affaire Tai Ji Men comme un cas flagrant et persistant de violation des droits de l’homme qui a fait l’objet d’une abondante littérature scientifique.

L’affaire Tai Ji Men montre malheureusement qu’à Taïwan (comme dans de nombreux autres pays), il existe un large fossé entre la signature d’un pacte et la volonté théorique d’y adhérer, d’une part, et la mise en œuvre effective de mesures sur le terrain, d’autre part.

Pour conclure, nous avons soumis le mois dernier une déclaration à la 52ème session du CDH pour présenter et soutenir la “Journée internationale contre la persécution judiciaire et fiscale par le pouvoir de l’État”.

En reconnaissance de la gravité de ce problème, l’Association des citoyens du monde, une ONG accréditée par l’ECOSOC, et l’Académie de Qigong Tai Ji Men ont proclamé le 19 décembre, date du début de l’affaire Tai Ji Men en 1996, “Journée internationale contre la persécution judiciaire et fiscale par le pouvoir d’État” et ont publié une “Déclaration de la Journée internationale contre la persécution judiciaire et fiscale par le pouvoir d’État”.

Le cas des Tai Ji Men est emblématique des méthodes utilisées par certains gouvernements pour restreindre la liberté de religion, de croyance ou de conscience. Ce n’est pas seulement le cas des Tai Ji Men que nous avons dénoncé à l’ONU, mais l’intolérance croissante à l’égard des minorités spirituelles et religieuses dont nous sommes les témoins quotidiens.

Il est grand temps que la communauté internationale et les autorités taïwanaises agissent sans plus attendre pour mettre fin à la persécution de ces personnes pacifiques qui œuvrent pour un monde meilleur, que sont les Tai Ji Men.