15 avril 2022 | HRW
Le gouvernement des États-Unis a formellement déterminé que l’armée du Myanmar a commis le crime de génocide et des crimes contre l’humanité contre les musulmans de l’ethnie Rohingya dans l’État de Rakhine, a déclaré Human Rights Watch aujourd’hui. Le gouvernement américain devrait coordonner une action attendue depuis longtemps avec d’autres pays pour que justice soit rendue, tant pour les crimes de masse commis contre les Rohingyas que pour ceux commis contre d’autres minorités ethniques et des manifestants pro-démocratie depuis le coup d’État militaire de février 2021.
Le 21 mars 2022, le secrétaire d’État américain Antony Blinken a annoncé, dans un discours prononcé au Musée commémoratif de l’Holocauste à Washington, que « j’ai déterminé que des membres de l’armée birmane ont commis un génocide et des crimes contre l’humanité à l’encontre des Rohingyas ». Les États-Unis sont devenus partie à la Convention sur le génocide en 1988.
« Le gouvernement américain devrait coupler ses condamnations de l’armée du Myanmar avec des actions », a déclaré John Sifton, directeur du plaidoyer pour l’Asie à Human Rights Watch. « Pendant trop longtemps, les États-Unis et d’autres pays ont permis aux généraux du Myanmar de commettre des atrocités sans qu’il y ait de réelles conséquences. »
Les mêmes chefs militaires responsables des crimes contre les Rohingyas ont mené le coup d’État du 1er février 2021 contre le gouvernement civil élu du pays. La junte a ensuite attaqué systématiquement ceux qui ont protesté contre le coup d’État, les soumettant à des massacres, des tortures et des détentions arbitraires, ce qui équivaut à des crimes contre l’humanité. L’escalade des attaques contre d’autres groupes de minorités ethniques a donné lieu à d’autres abus et atrocités, y compris des crimes de guerre.
Depuis le coup d’État, les forces de sécurité ont tué au moins 1 600 personnes et en ont détenu plus de 12 000. Plus de 500 000 personnes ont été déplacées à l’intérieur du pays et la junte bloque délibérément l’aide aux populations dans le besoin, comme une forme de punition collective. Les Rohingyas restés dans le pays sont soumis à des restrictions de mouvement encore plus importantes et à des traitements plus durs, des abus qui constituent des crimes contre l’humanité tels que la persécution, l’apartheid et la privation grave de liberté.
Les États-Unis et les autres gouvernements devraient demander justice pour les crimes commis par l’armée contre les Rohingyas ainsi que pour les abus commis contre les manifestants et les groupes ethniques, et imposer des mesures économiques plus strictes contre les dirigeants militaires, a déclaré Human Rights Watch.
Le Conseil de sécurité des Nations unies — en grande partie à cause des craintes d’un veto chinois ou russe — n’a pas pris de mesures substantielles en réponse aux atrocités commises par l’armée du Myanmar. Les États-Unis devraient néanmoins faire pression pour obtenir une résolution du Conseil qui renverrait la situation au Myanmar à la Cour pénale internationale (CPI). Dans le même temps, les États-Unis devraient faire pression pour que le Conseil impose un embargo sur les armes à l’armée du Myanmar.
Le procureur de la CPI enquête actuellement sur des crimes contre l’humanité liés à la déportation forcée en 2017 de plus de 740 000 Rohingyas vers le Bangladesh, un État membre de la CPI. Le Myanmar n’étant pas membre du Statut de Rome, le traité fondateur de la Cour, seul le Conseil de sécurité des Nations unies peut renvoyer tous les crimes internationaux graves commis au Myanmar à la CPI pour enquête. Un renvoi à la CPI reste essentiel pour traiter toute l’étendue de la criminalité au Myanmar, y compris les actes génocidaires présumés. Un renvoi à la CPI donnerait également à la Cour la compétence de traiter d’autres abus présumés, notamment par des groupes armés ethniques au Myanmar.
Si le Conseil de sécurité n’agit pas, les États-Unis devraient réunir un groupe de pays partageant les mêmes idées au sein de l’Assemblée générale afin d’adopter une résolution appelant les pays à imposer des embargos bilatéraux sur les armes à destination du Myanmar et les exhortant à utiliser, dans la mesure du possible, leurs systèmes juridiques nationaux pour enquêter sur les crimes présumés commis par des militaires du Myanmar.
De nombreux pays disposent de lois qui permettent à leurs autorités judiciaires d’enquêter et de poursuivre certains crimes graves en vertu du droit international, quel que soit le lieu où ils ont été commis ou la nationalité des suspects ou des victimes. En 2019, les autorités judiciaires argentines ont ouvert une enquête sur les hauts responsables militaires et civils du Myanmar pour des crimes commis dans l’État de Rakhine, notamment pour crimes de guerre et génocide. Les responsables américains devraient envisager d’éventuelles enquêtes nationales en vertu de leurs propres lois criminalisant les génocides commis à l’étranger.
Afin de dissuader de futurs abus, le gouvernement américain devrait également imposer des sanctions plus sévères sur les importantes recettes en devises étrangères que l’armée du Myanmar tire des revenus du pétrole et du gaz, et renforcer l’application des sanctions existantes sur les entreprises contrôlées par l’armée dans les secteurs des mines, des pierres précieuses et du bois, a déclaré Human Rights Watch. L’armée utilise la majeure partie de ces revenus pour financer ses dépenses, qui comprennent d’importants achats d’armes et d’avions d’attaque en provenance de Russie, de Chine et d’autres pays.
En plus de soutenir l’action au Conseil de sécurité des Nations unies, les États-Unis devraient également soutenir une résolution forte au Conseil des droits de l’homme des Nations unies à Genève, reflétant les mesures ci-dessus et garantissant que le rapporteur spécial des Nations unies et le mécanisme d’enquête indépendant pour le Myanmar continuent de recueillir et d’analyser les preuves des crimes graves commis au Myanmar depuis 2011.
Les États-Unis devraient soutenir formellement l’affaire en cours portée par la Gambie devant la Cour internationale de justice (CIJ), selon laquelle les atrocités commises par le Myanmar à l’encontre des Rohingyas violent la Convention sur le génocide. L’affaire portée devant la CIJ n’est pas une affaire pénale contre des auteurs présumés individuels, mais une détermination juridique de la responsabilité de l’État pour génocide. L’affaire pourrait déboucher sur des ordonnances exécutoires en vertu d’une résolution du Conseil de sécurité des Nations unies.
« Les militaires du Myanmar continueront à commettre des atrocités tant que les autres gouvernements n’imposeront pas de mesures pour les tenir pour responsables », a déclaré M. Sifton.
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