12 janvier 2021 | PierLuigi Zoccatelli | BitterWinter

Un nouveau « livre blanc » en téléchargement gratuit, de Frédéric-Jérôme Pansier, Willy Fautré et Massimo Introvigne, recommande de profiter de la loi pour moderniser la définition française de la religion.

Les États d’ancienne tradition démocratique savent que changer les lois sur la religion est un exercice délicat et périlleux. Ils ne le font pas très souvent. C’est pourquoi le projet de loi français « Conforter le respect des principes de la République » (anciennement loi contre le « séparatisme ») a suscité tant d’émotion, pas seulement en France.

Le but déclaré de la loi était de lutter contre une culture islamiste « séparatiste » radicale, qui peut devenir un terrain fertile pour l’extrémisme et le terrorisme. Puisqu’une loi visant une seule religion serait manifestement inconstitutionnelle, le texte contient des dispositions générales pour toutes les organisations religieuses.

Certaines de ces dispositions – interdisant substantiellement l’enseignement à domicile, donnant aux autorités administratives des pouvoirs supplémentaires de surveillance et de contrôle des religions et introduisant des dispositions pour la dissolution rapide des organisations religieuses « indésirables » – étaient dangereuses pour la liberté religieuse. Massimo Introvigne, qui est rédacteur en chef de Bitter Winter, le juriste français Frédéric-Jérôme Pansier et la spécialiste des religions Bernadette Rigal-Cellard (également française), l’avocat des droits de l’homme basé à Londres Alessandro Amicarelli, et Willy Fautré, de l’ONG belge Human Rights Without Frontiers avaient déjà publié un « livre blanc » mettant en évidence ces problèmes. Des remarques similaires ont été faites par le Conseil d’État français, et le gouvernement français a accepté de modifier la loi, retirant certaines des dispositions les plus controversées.

Le projet de loi est maintenant examiné par une commission spéciale de l’Assemblée nationale française. Les membres de la commission ont interrogé des représentants des principales instances religieuses actives en France, et d’autres, qui ont exprimé leur inquiétude que le texte, bien qu’amélioré après l’intervention du Conseil d’État, porte toujours l’empreinte d’une démarche visant à défendre le pays « contre » la religion.

À maintes reprises, les risques de la loi ont été soulignés. Aujourd’hui, un nouveau « Livre blanc » de trois des auteurs du précédent – Pansier, Fautré et Introvigne – adopte une approche différente : d’une part, il est important que les dispositions susceptibles d’affecter négativement la liberté religieuse ne soient pas introduites « clandestinement » dans le texte, et c’était l’objectif du premier « Livre blanc ». Dans le deuxième « livre blanc » lancé aujourd’hui sous le titre « Laïcité, comment la préserver », les auteurs notent que la loi peut être une occasion historique, à ne pas gâcher, de réformer ce qui est vieux et poussiéreux dans la loi française de 1905 sur la séparation des Églises et de l’État.

La manière dont la loi de 1905, cruciale pour la notion française de laïcité, a été préparée et approuvée est reconstituée par les auteurs dans des pages méticuleuses mais fascinantes. Le « Livre blanc » propose un récit historique détaillé de la situation politique et des débats parlementaires de 1905. Dans l’imaginaire de beaucoup, la loi de 1905 est le produit du gouvernement anticlérical du Président du Conseil français Émile Combes (1835-1925), ennemi juré de l’Église catholique romaine.

Cependant, notent les auteurs, la loi était en grande partie une production parlementaire plutôt que gouvernementale. Ils insistent sur la figure du rapporteur de la loi, futur Premier ministre et lauréat du prix Nobel de la paix, Aristide Briand (1862-1932) et sur sa collaboration avec le leader socialiste Jean Jaurès (1859-1914).

Alors que la droite catholique voulait maintenir le statu quo, datant du Concordat napoléonien de 1801 (également discuté dans le « livre blanc »), et que l’extrême gauche et les plus fidèles à Combes appelaient à une guerre contre le catholicisme, Briand voulait un texte qui pourrait un jour accueillir aussi les catholiques.

Il savait que la réaction catholique immédiate serait négative. En fait, le pape Pie X (1835-1914) condamna la loi avec l’encyclique de 1906 « Vehementer nos », et ordonna la même année avec une autre encyclique, « Gravissimo officii munere », que les catholiques refusent de former les « associations cultuelles » créées par la loi de séparation.

Cependant, affirment les auteurs, il y avait dans la loi de 1905 les germes d’un futur accord avec l’Église catholique, lorsque les émotions les plus vives des luttes anticléricales se dissiperaient. Cela se produit en 1924, avec la création des « associations diocésaines ».

Mais il manquait quelque chose dans la loi, ou plutôt dans l’application de la loi, affirment à nouveau les auteurs : la possibilité d’inclure parmi les « associations cultuelles » celles venant de l’extérieur du christianisme ou du judaïsme. La jurisprudence relative à la loi de 1905 définissait en effet une association « cultuelle » comme une association organisant des cérémonies religieuses publiques. La définition était peut-être déjà eurocentrique et discutable en 1905, mais elle est clairement dépassée aujourd’hui. Il n’y a aucune raison de ne pas considérer comme « cultuel » un centre bouddhiste proposant uniquement la méditation et n’organisant pas de « cérémonies religieuses publiques », et ce n’est qu’un exemple parmi tant d’autres.

Pour les auteurs, « Le gouvernement, en souhaitant inciter fortement les associations de loi 1901 (principalement musulmanes, mais pas seulement) à rejoindre le régime des associations cultuelles de loi 1905, franchit un palier supplémentaire dans le contrôle étatique des cultes (…) Malheureusement, il y a fort à parier que cette harmonisation des contraintes, quel que soit le mode d’exercice librement choisi, ne suffira pas à provoquer un réel changement de paradigme et à inciter les associations loi 1901 à rejoindre le régime de la loi 1905 ».

Les auteurs ne suggèrent pas que la France sorte de son système centenaire de laïcité. Leur proposition, de revoir la manière dont les cultes sont identifiés et de l’harmoniser avec la jurisprudence de la Cour européenne des droits de l’homme et les documents des Nations Unies, préserve l’esprit de la loi de 1905, tout en la modernisant pour l’adapter à la réalité religieuse actuelle de la France.

Le document conclut que, « pour arriver à ce que la réforme puisse atteindre ses buts, il faut s’assurer que l’esprit de liberté de la loi de 1905 soit préservé, et que la grande majorité des cultes qui ne représentent pas de menace terroriste, ne provoquent pas à la haine ou à la violence, puissent non seulement avoir accès aux avantages du statut d’association cultuelle, mais aussi que cet accès soit facilité, encouragé et attractif. »