2 mars 2021 | Fédération Protestante de France

Le protestantisme français est très impliqué par le projet de loi « confortant le respect des principes de la République ». Non seulement ses membres s’engagent dans de nombreuses associations régies par la seule loi du 1er juillet 1901, mais ils sont aussi à l’origine de plus des deux-tiers des associations cultuelles régies par la loi du 9 décembre 1905 : l’étude d’impact (p.301) évalue entre 3 500 et 4 000 le nombre des associations cultuelles protestantes, sur un total de 5 000 pour toute la France. Premier culte concerné par le nombre des associations, les protestants peuvent d’autant mieux mesurer concrètement les conséquences des profondes modifications qui seraient apportées à une loi dont ils ont été un des plus fidèles soutiens.

A l’issue du débat en première lecture à l’Assemblée nationale sur ce texte, ils sont conduits à réitérer les observations qu’appellent toujours de leur part plusieurs de ses dispositions en dépit des ajustements, limités, apportés à certaines, mais aussi du fait de l’introduction de nouvelles contraintes.

1- UN CONTROLE ACCRU DE L’ÉTAT SUR TOUTES LES ASSOCIATIONS

1.1. Les lois de 1901 et 1905 étaient caractérisées par leur libéralisme, auquel tenaient beaucoup leurs auteurs respectifs: elles reposent sur la responsabilisation des instances des associations. En application de ce principe, la loi de 1901 ne comporte aucune obligation relative aux statuts des associations.

1.2. Le chapitre II du titre I (dispositions relatives aux associations) revient fortement sur une telle orientation, en développant le contrôle de l’État sur toutes les associations concernées par la loi de 1901, notamment :

-à l’article 6 : obligation pour toute association et également désormais fondation (à l’exception des associations agréées et celle -nouvellement introduite par l’Assemblée nationale – des associations reconnues d’utilité publique) sollicitant une subvention publique de s’engager, «par un contrat d’engagement républicain », «à respecter les principes de liberté, d’égalité, de fraternité et de respect de la dignité de la personne humaine ainsi qu’à respecter l’ordre public, les exigences minimales de la vie en société et les symboles fondamentaux de la République. ». La loi permet que « si les activités ou les modalités … ne sont pas compatibles » avec cet engagement, l’autorité ayant attribué la subvention puisse, après une procédure contradictoire, la retirer.

-à l’article 7 est mentionnée la même exigence pour toute demande d’agrément d’une association par l’Etat.

Comme le Conseil d’Etat l’a proposé, il serait plus justifié de parler seulement « d’engagement républicain », car ce qui est demandé n’a aucunement la nature d’un contrat.

Il appartient déjà à chacun de veiller à respecter les principes affirmés par la devise de la République (article 2 de la Constitution) : liberté, égalité, fraternité. Suivant l’avis du Conseil d’Etat, le principe de liberté a été ajouté au projet initial. Et l’exposé des motifs indique que « cet article n’a ni pour objet ni pour effet d’empêcher les associations d’inspiration confessionnelle d’obtenir et d’utiliser des subventions pour leurs activités d’intérêt général ». Mais l’engagement de «respecter l’ordre public» suscite des interrogations : ne pourrait-il pas permettre de mettre en cause l’expression publique et l’action des associations ? Il a fallu récemment encore une décision du conseil constitutionnel pour consacrer le principe de fraternité et non un prétendu délit de solidarité.

-aux articles 10 et 11 : obligation pour toute association établissant des reçus fiscaux d’établir à la fin de chaque exercice une déclaration récapitulative (nombre total des reçus et montant global des dons) et possibilité de contrôle sur place de la régularité de la délivrance des reçus.

Alors que ne sont connus actuellement par les services fiscaux que les donateurs qui ont décidé de déclarer leur don, un contrôle général sur place leur donnerait accès au fichier nominatif des donateurs, ce qui créerait un risque d’atteinte à la liberté de conscience et de culte.

1.3.  En contrepartie de ces exigences nouvelles, qui peuvent avoir un fort effet dissuasif, une garantie était apportée : celle de protéger de tout risque de préemption les fondations et associations ayant la capacité de recevoir des libéralités. Mais l’article 32, inscrit à tort au titre II (« garantir le libre exercice du culte »), alors que, vu la diversité des bénéficiaires concernés, sa place aurait dû être dans le titre I, a été supprimée par la commission spéciale de l’assemblée nationale. Nous proposons de le rétablir au chapitre II du titre premier (Dispositions relatives aux associations),

1.4.  Nous proposons aussi d’y transférer la nouvelle disposition ajoutée à l’article 36 ter : empêcher tout blanchiment dans le financement concerne toutes les associations.

2-L’ACCROISSEMENT SPECIFIQUE DES CONTRAINTES A L’ENCONTRE DES ASSOCIATIONS CULTUELLES (1)

2.1 Un ensemble de nouvelles contraintes

Le nouveau dispositif exige de toute association cultuelle régie par le titre premier de la loi du 1er juillet 1901 et par le titre 4 de la loi du 9 décembre 1905 :

– des dispositions statutaires supplémentaires (article 26),

– un dispositif spécifique de déclaration initiale en préfecture, à renouveler tous les cinq ans, avec possibilité d’opposition du préfet, (article 27),

– de nouvelles obligations comptables (article 33), un contrôle très tatillon des fonds provenant, directement ou indirectement, de l’étranger (article 35) et une sanction spécifique très forte (9 000 €) pour dirigeant qui ne respecterait pas ces nouvelles obligations (article 34).

2.2. Une immixtion dans l’autonomie interne des cultes

L’exposé des motifs indique que l’article 26 impose « aux associations cultuelles de prévoir des règles de fonctionnement garantissant une meilleure maîtrise par leurs membres des décisions importantes prises par l’association, en soumettant à la décision d’un organe délibérant l’adhésion des nouveaux membres, les modifications statutaires, les cessions immobilières et, sauf si cela ne relève pas des compétences de l’association, le recrutement des ministres du culte. L’objectif poursuivi est de renforcer les procédures de démocratie interne s’agissant des actes de gestion les plus importants ». Nous ne pouvons que partager un tel objectif, qui est d’ailleurs le plus souvent déjà respecté dans les statuts des associations cultuelles protestantes. Mais pourquoi ce souci de démocratie interne n’est-il prescrit qu’au regard des associations cultuelles ? Ne devrait-il pas concerner toutes les associations ?

En toute hypothèse, si de telles exigences spécifiques étaient maintenues, il faudrait :

–  Limiter le décret à venir aux modalités d’application des principes énoncés (et non à la définition des procédures, qui représenterait une intrusion exagérée dans la liberté d’association),

–  prendre en compte à l’article 45 le délai nécessaire pour une association membre d’une union dans la modification de ses statuts (qui doit être opérée dans le cadre d’un calendrier national, qui demande un délai plus long).

2.3 Des procédures superfétatoires

L’article 27 instaure une procédure quinquennale de renouvellement de la déclaration initiale, ce qui viendrait accroître les démarches administratives et le risque de différends. Puisque le préfet peut à tout moment « retirer le bénéfice des avantages » liés à la catégorie des associations cultuelles, ainsi que, comme pour toute association, s’opposer à une décision d’acceptation d’une libéralité, pourquoi prévoir une procédure de renouvellement ? Et pourquoi continuer à retenir un renouvellement tous les cinq ans, alors que l’article 25 prévoit un renouvellement tous les huit ans seulement pour l’agrément des fédérations sportives ?

Si cet article est maintenu, pour garantir les droits de l’association, il faudrait encadrer la décision du préfet en reprenant la même condition issue de la jurisprudence européenne et déjà mentionnée au III de l’article 35 : l’exigence d’un motif «grave et actuel ».

2.4 Un contrôle quasi-général des fonds provenant de l’étranger

Les articles 33, 35 et 36 créent toute une procédure de déclaration et de contrôle des fonds provenant, directement ou indirectement, de l’étranger au-delà du seuil de 10 000 € par an. L’étude initiale de la Fédération Protestante demandait pourquoi ce dispositif était créé pour les seules associations cultuelles ou à objet cultuel, alors même que de tels flux existent aussi, et pour des montants bien plus élevés, dans d’autres domaines. La FPF relevait aussi que l’obligation de certification des comptes nécessitait que le commissaire aux comptes soit désigné pour six exercices, ce qui pouvait représenter un coût bien supérieur au montant du don reçu pour un exercice.

Sur ces deux points, les observations de la Fédération protestante ont été prises en compte.

Toute association recevant un don provenant de l’étranger dépassant un certain seuil sera aussi tenue aux mêmes obligations (nouvel article 12 bis). Et il a été annoncé que le décret fixant l’obligation d’intervention d’un commissaire aux comptes retiendra un montant cumulé de dons au cours de l’exercice égal ou supérieur à 153000 € (donc permettra le maintien d’un seuil unique d’assujettissement pour les associations cultuelles). Pour assurer les droits des associations, nous proposons que le montant de ce seuil (commun pour les fonds reçus de l’étranger et le montant total des reçus fiscaux établis) soit porté dans la loi.

2.5 Des sanctions accrues pour les responsables des associations

Tout dirigeant est pénalement responsable des infractions commises dans le fonctionnement du groupement, notamment lorsqu’il ne respecte pas la règlementation applicable à l’activité de l’association. Le 1er alinéa de l’article 23 de la loi du 9 décembre 1905 prévoit déjà la sanction du non-respect des dispositions propres aux associations cultuelles.

3. UN ENSEMBLE DISCRIMINANT ET STIGMATISANT

3.1. L’avis du Conseil d’Etat constate que « le projet de loi alourdit les contraintes pesant sur les associations cultuelles et modifie l’équilibre opéré en 1905 par le législateur entre le principe de la liberté de constitution de ces associations et leur nécessaire encadrement du fait qu’elles bénéficient d’avantages publics. »

Le projet de loi mentionne plusieurs fois (à l’article 27) « les avantages propres à la catégorie des associations cultuelles ». Il vaut la peine de faire le point à leur sujet.

On ne peut que s’étonner de voir l’avis du Conseil d’Etat (§ 67) écrire que les associations cultuelles « disposent gratuitement des édifices servant à l’exercice public du culte dont les dépenses d’entretien et de conservation sont à la charge de la collectivité publique. » C’est attribuer à toutes les associations cultuelles une disposition qui ne concerne que certaines, et qui est d’ailleurs à l’origine d’une profonde inégalité entre les cultes. Comme l’a établi un rapport du Sénat (Hervé MAUREY, mars 2015), 90 % des édifices du culte catholique sont la propriété des communes, alors que ce chiffre ne représente que 12 % pour le culte protestant, 3 % pour le culte juif, et 0 % pour les autres cultes, notamment culte bouddhiste et le culte musulman. C’est pour essayer d’atténuer à la marge cette asymétrie que tous les lieux de culte sont exonérés de taxe foncière, quel que soit leur propriétaire (cette exonération – article 1382 du code général des impôts – n’étant pas réservée aux associations cultuelles).

Il est aussi surprenant de voir indiquée au § 85 de l’avis du Conseil d’Etat, parmi les « compensations » apportées en contrepartie des obligations nouvelles pour les seules associations cultuelles, l’exemption du droit de préemption, alors que celui-ci aurait concerné tous les organismes ayant la capacité de recevoir des libéralités (article 32).

La liste des organismes pouvant établir des reçus permettant la prise en compte fiscale des dons reçus par eux (articles 200 et 238 bis du code général des impôts) est bien fournie, et depuis 2014 s’allonge celle des organismes pouvant recevoir des libéralités. De tels constats sont particulièrement heureux… mais la rigueur de l’analyse aurait justifié que ne soient pas mélangées indistinctement les mesures relatives à un grand nombre d’institutions et celles réservées aux cultuelles. L’on pourrait alors se demander quelle est la motivation de telles contraintes limitées aux associations gestionnaires de lieux de culte, quand on sait que la plupart des associations cultuelles d’une part ne sont au bénéfice d’aucun avantage particulier, directe ou indirect, et d’autre part ne participent ni ne contribuent aux actions séparatistes ou terroristes, réprimées à juste titre ?

Augmenter les contraintes et charges administratives et comptables des associations et de leurs administrateurs ne peut que rendre plus difficile leur fonctionnement. Et une telle accumulation peut aboutir à une restriction à la liberté d’exercice du culte.

En outre, l’accumulation des mesures relatives aux seules associations en lien avec l’exercice du culte ne peut que créer un climat de suspicion à leur égard.

3.2 La seule « compensation » est portée à l’article 28, avec la possibilité de « posséder et administrer tous immeubles acquis à titre gratuit ».

Ce n’est d’abord que revenir sur l’exclusion portée à l’article 6 de la loi de 1901 par la loi du 31 juillet 2014… exclusion qui n’a jamais été motivée, et que le Conseil d’Etat avait déjà relevé en 2018 comme dénuée de justification.

Il importe de bien mesurer l’impact réel de cette disposition. Il aurait pu s’agir exceptionnellement de posséder et administrer des immeubles entiers de rapport (comme pour toute association concernée), mais, le plus souvent, cela permettra seulement aux associations cultuelles de posséder et gérer des parties d’immeuble qui ne sont pas (ou plus) nécessaires à l’activité cultuelle et dont la location procurera des moyens pour exercer le culte (par exemple ancien presbytère à l’étage d’un immeuble dont les autres niveaux sont utilisés pour les activités de l’association). L’assemblée national a introduit (pour les seules associations cultuelles) une limitation de telles ressources à 33% des revenus annuels.

3.3 Alors que le but initial était de rendre attractive la loi 1905 pour notamment encourager l’islam français à choisir ce cadre législatif (de même que la loi du 2 janvier 1907 a été promulguée pour tenir compte du refus de la loi de 1905 par le culte catholique), le projet de loi multiplie les contraintes concernant les associations relatives à l’exercice du culte. Au lieu de veiller à l’égalité de traitement de toutes les associations, il introduit des discriminations, y compris dans des domaines qui ne caractérisent pas spécifiquement ces associations. Une telle discrimination ne peut être perçue que comme stigmatisante.

Déjà la disposition législative limitant strictement l’objet associatif des 1905 à « l’exercice du culte » oblige à créer et faire fonctionner pour chaque groupement plusieurs associations : pour le culte, pour l’entraide et la solidarité, pour les activités culturelles, voire pour les activités de jeunesse… Cette exigence de démultiplication a des conséquences importantes en termes de disponibilité bénévole et de financement.

En réponse à l’affirmation péremptoire2 qui sous-tend tout le projet de loi « Les associations qui assurent cet exercice [du culte] … sont le théâtre de … dérives qui mettent en péril la sauvegarde de l’ordre public » (Etude d’impact, p.273), « le Conseil d’Etat constate que le projet conduit à imposer des contraintes importantes à une majorité d’associations cultuelles ou à objet mixte de toutes confessions dont les agissements, de même que le comportement des ministres du culte et des fidèles, sont dans leur grande majorité respectueux des règles communes » (§ 71).


Cette accumulation de contraintes est-elle vraiment compatible avec le respect du libre exercice des cultes, que « la République garantit » selon l’article premier de la loi du 9 décembre 1905 ?

Ces contraintes nouvelles auront-elles quelque effet pour limiter le séparatisme ?

Le protestantisme français, très attaché à l’égalité de traitement de tous, personnes physiques et morales, ne peut donc pas se reconnaitre dans un texte dont l’application conduirait, de fait, à limiter la liberté de culte et stigmatiserait son support institutionnel.

A l’issue du débat en première lecture à l’Assemblée nationale, il demeure donc toujours dans l’attente d’une amélioration significative du projet de loi, et de la mise en place d’une réelle et constructive concertation avant la publication des décrets, car c’est dans le détail de leurs énoncés que se vérifieront le pragmatisme et l’équité de la loi, encore à construire.


1 Les associations cultuelles sont celles régies à la fois par le titre premier de la loi de 1901 et le titre 4 de la loi de 1905. Le culte pourra aussi continuer à être exercé par une association régie par la seule loi du 1er juillet 1901 (ou par le droit local alsacien-mosellan). Mais celle-ci devra dorénavant
a) l’indiquer expressément dans ses statuts,

b) tenir une comptabilité distincte des activités cultuelles et assurer la certification de ses comptes,

c) respecter les obligations des articles 19 à 36-2 de la loi du 9 décembre 1905. dans le cadre d’un calendrier national, qui demande un délai plus long).

2 Et d’autant plus infondée que l’étude d’impact indique (p.312) que seulement 2 pour mille des demandes de rescrit déposées par des associations cultuelles ont été rejetées pour un motif d’ordre public !


Vous trouverez information et documents prêts au téléchargement sur cette page de l’AIDLR France.