26 avril 2022 | Massimo Introvigne | Bitter Winter

Ceux qui ont entendu parler de nazis en Ukraine ont certainement eu vent du Bataillon Azov, qui est souvent présenté par la propagande russe et pro-russe comme le pistolet fumant prouvant que le gouvernement ukrainien promeut le nazisme.

Le Bataillon Azov existe bien et il a une histoire intéressante. Dans nos articles antérieurs, nous avons fait état d’une organisation du nom de Parti Social-National d’Ukraine (PSNU) qui a effectivement utilisé des symboles nazis. Il a été réorganisé en 2004 en un “respectable” parti de droite, Svoboda, qui a promis d’éliminer ses liens avec les nazis. Dans son « nettoyage », Svoboda a dissous les Patriotes d’Ukraine, l’aile paramilitaire du PSNU.

Nous avons aussi fait la connaissance d’Andriy Bilets’kyy, un jeune dirigeant des Patriotes d’Ukraine qui n’a pas été heureux des réformes de 2004 et qui a perpétué l’existence des Patriotes indépendamment de Svoboda. En 2008, les Patriotes ont organisé, avec d’autres petits groupes, une plate-forme appelée Assemblée Sociale Nationale (ASN).

Andreas Umland, le meilleur spécialiste académique du Bataillon Azov, a noté que les activités de Bilets’kyy et des Patriotes avant 2014 sont insuffisamment étudiées et sont controversées. Vyacheslav Likhachev, un chercheur connaissant bien l’antisémitisme post-soviétique, a rassemblé en 2014 des déclarations de Bilets’kyy remontant à ces années. Elles contenaient des positions racistes qui appelaient à des actions violentes contre les immigrés et d’autres « ennemis de la race blanche ». En 2015, Bilets’kyy a prétendu que ces déclarations étaient fausses et avaient été fabriquées par la propagande russe. Umland tend à croire que la plupart de ces déclarations sont authentiques et qu’en 2015, Bilets’kyy essayait de « couvrir sa biographie politique antérieure à Maidan ».

Dans la décennie antérieure à l’Euromaidan, Bilets’kyy a également été mêlé à des actions violentes contre des opposants et des immigrés lors desquelles il a collaboré avec Bratsvo (Fraternité), un groupe chrétien orthodoxe d’extrême-droite qui en 2004 n’avait pas soutenu la Révolution Orange mais avait publiquement manifesté sa sympathie pour Poutine.

Le fondateur de Bratsvo, Dmytro Korshyns’kyy, venait de l’Assemblée Nationale Ukrainienne (ANU), un groupe déjà mentionné dans nos articles précédents, tout comme Ihor Mosiychuk, un autre ami de Bilets’kyy. Il a aussi fréquemment participé (avant 2014) aux réunions pro-Poutines en Russie d’Alexander Dugin, l’idéologue de l’eurasisme. Mosiychuk avait sa propre petite faction de droite et avait été arrêté pour avoir fait partie des « terroristes de Vasylkiv », un groupe qui avait conspiré pour faire exploser une statue de Lénine dans la ville ukrainienne de Boryspil.

Bilets’kyy a fini en prison sur base d’accusations probablement en partie vraies et en partie forgées de toutes pièces mais il a été libéré avec d’autres « prisonniers politiques », y compris Mosiychuk, pendant l’Euromaidan. Cela s’est fait sur base d’une loi déposée par l’homme politique populiste Oleh Liashko, un ancien journaliste dont le Parti radical est nationaliste, mais pas particulièrement à droite vu que ses positions économiques sont plutôt associées à la gauche. Au cours du printemps 2014, Bilets’kyy et une trentaine d’autres prisonniers libérés ont commencé à se réunir dans le bâtiment de l’ancien Hotel Kozats’kiy à Kyiv, et ont également ouvert un bureau à Kharkiv.

En mars, le bureau a été attaqué par des séparatistes et le 14 mars, des acolytes de Bilets’kyy ont tué deux séparatistes à Kharkiv. Ils furent les premières victimes pro-russes de nationalistes de droite, et comme l’écrit Likhachev, elles ont alimenté la propaganda russe « comme étant la seule base réelle de la fabrication de l’image d’une ‘menace venant des milices de Bandera’».

Par ailleurs, la police de Kharkiv n’avait pas une opinion négative sur le groupe de Bilets’kyy. En avril, elle l’a remercié pour l’avoir aidée à patrouiller dans la ville et à réprimer les activités pro-russes et séparatistes. Depuis que les Russes avaient infiltré en territoire ukrainien des soldats masqués portant des uniformes verts sans marque d’identification qu’on a appelé les « petits hommes verts », les Patriotes de Bilets’kyy se sont eux-mêmes appelés les « petits hommes noirs ». Ils ont aussi utilisé le nom de « Secteur de droite de l’Est ».

En mai 2014, quelque 80 activistes du groupe lié à Bilets’kyy à l’Hotel Kozats’kiy à Kyiv se sont rendus à Berdiansk, une ville portuaire sur la Mer d’Azov, pour s’y entraîner au tir. Cet épisode est lié à la date officielle de la création du Bataillon Azov, le 5 mai 2014, mais en fait, il se pourrait qu’il ait été fondé quelques semaines plus tôt. La colonne vertébrale du Bataillon reposait sur les Patriotes de Bilets’kyy mais comprenait également des membres de Bratsvo et du groupe de Mosiychuk, avec la bénédiction et le soutien économique de Liashko, qui croyait recevoir en retour un dividende électoral s’il s’associait à des combattants volontaires antirusses.

Même avant la date de la fondation officielle du 5 mai, le Bataillon Azov avait marché sur Marioupol, où les séparatistes pro-russes s’étaient emparés de bâtiments gouvernementaux, et les en avait chassés après une bataille sanglante qui a rendu le nom du Bataillon Azov connu et populaire en Ukraine.

La plupart des Ukrainiens ont été reconnaissants au Bataillon pour ses faits d’armes à Marioupol et ont passé sous silence les origines d’extrême-droite de ses fondateurs. Ces dernières ont laissé une trace visuelle du fait que le Bataillon Azov s’est approprié comme symbole le logo du vieux PSNU qui avait aussi été utilisé par les Patriotes d’Ukraine et l’ASN.

Il contient la lettre I, partiellement recouverte d’une lettre N, dont la signification affichée est « Idée d’une Nation ». Le logo n’est pas identique à, mais est l’image miroir du Wolfsangel (crochet du loup), un vieux symbole allemand qui existait avant le nazisme mais qui fut adopté à la fois par quelques divisions de la SS et plus tard par des mouvements néo-nazis à travers l’Europe.

Le symbole montre aussi une différence importante entre le Bataillon Azov, ou une partie de ses membres d’origine, et le vieux nationalisme ukrainien associé au nom de Bandera. Alors que Bandera et ses acolytes, dont beaucoup étaient des catholiques de l’ouest de l’Ukraine, se présentaient comme défenseurs du christianisme, certains des premiers membres d’Azov étaient des néopaïens qui rêvaient de rétablir une religion ukrainienne préchrétienne, en parallèle avec les idées de quelques extrémistes de droite dans d’autres pays.

Les statistiques d’origine du Bataillon Azov ne devraient pas être exagérées. Lors de l’été 2014, il y avait entre 400 et 450 membres. C’est en raison de sa bravoure à Marioupol qu’il a été incorporé par le gouvernement dans la Garde Nationale. Ses membres ont grimpé jusqu’à 800 et plus tard peut-être même à 2500. Ses dirigeants ont aussi capitalisé sur la célébrité qu’ils avaient acquise. En 2014, Bilets’kyy, en tant que candidat indépendant, et Mosiychuk, comme membre du Parti Radical de Liashko, ont été élus au parlement.

Il y a aussi eu une tentative de faire du nom populaire du Bataillon Azov une marque politique en créant le parti du Corps National. Celui-ci a attiré quelque 20 000 membres et sympathisants à travers l’Ukraine, et a créé ou soutenu divers groupes d’auto-défense. Le plus récent s’appelle Centuria ; il attaque souvent des politiciens et des organisations pro-russes. Son succès a toutefois été limité. Aux élections de 2019, les partis ukrainiens de droite, y compris le Corps National et Svoboda, ont formé une liste unique dans l’espoir de passer le seuil de 5% nécessaire pour entrer au parlement mais ils n’ont recueilli que 2,15% des votes.

Le Bataillon Azov est un régiment de l’armée ukrainienne. La propaganda russe utilise cela comme argument pour prétendre que des « nazis » se battent pour l’Ukraine et certains médias occidentaux le reprennent sans esprit critique. Avant et après le début de la guerre en 2022, Umland, le meilleur spécialiste ayant étudié le Bataillon Azov, a été interviewé par plusieurs médias. Il a répété avec insistance que le Bataillon Azov (maintenant le Régiment Azov) « n’est pas nazi » mais que « certains de ses fondateurs et de ses membres le sont ».

Umland n’a cessé de répéter que Bilets’kyy et d’autres, dont le rôle a été crucial dans la fondation du Bataillon Azov, avaient une « préhistoire » dans les milieux racistes et néo-nazis. Toutefois, ils ne revendiquent pas cet héritage mais ils essaient de le cacher. Umland a écrit que Bilets’kyy et d’autres « ont émergé comme hommes politiques au niveau national malgré, plutôt qu’à cause de, leurs vieilles idées et activités ultra-nationalistes ». Bien sûr, le logo du Bataillon Azov, encore toujours utilisé dans le Régiment Azov, est une réminiscence de leur passé extrémiste mais il n’est pas perçu comme tel par la plupart des Ukrainiens.

Umland et d’autres spécialistes croient qu’il en est de même pour ceux qui ont rejoint le Bataillon Azov après les premiers évènements de 2014. La plupart d’entre eux, selon Umland, sont des « patriotes militants » plutôt que des « extrémistes de droite ». La plupart des Ukrainiens ne voient actuellement en Azov qu’un régiment d’élite et ne sauraient même rien de ses origines sans la propagande russe. Oui, il y a des nazis dans le Bataillon Azov, y compris parmi les combattants étrangers venus à l’aide d’autres pays. Ils sont une minorité mais, comme Umland l’a dit, ce sont les seuls à être interviewés par des journalistes étrangers, et à être présentés, par erreur, comme étant « la norme » ou « typiques ».