25 avril 2022 | Massimo Introvigne | Bitter Winter
En 2004, un nouveau groupe nazi a émergé et a rapidement été dénoncé par la Russie : mais il avait été créé par des agents du Kremlin
Il y a une guerre de propagande autour du néonazisme en Ukraine et c’est une guerre dans laquelle les services de renseignements jouent leur rôle habituel. Peu nombreux sont ceux en dehors de l’Ukraine qui connaissent l’histoire d’Édouard Kovalenko mais il est une illustration parfaite de la façon dont fonctionne la désinformation russe en la matière.
Édouard Vladimirovitch Kovalenko est né en 1965 à Henichesk, une ville portuaire de l’oblast de Kherson, dans le sud de l’Ukraine. Il se présente comme « entrepreneur » et président du parti politique « Assemblée Sociale-Patriotique des Slaves » (ASPS) qui a une existence surtout virtuelle (il a un site web en russe).
Au second tour de l’élection présidentielle de 2004, le candidat pro-russe Viktor Yanukovych, qui était alors le premier ministre du pays, a été déclaré vainqueur du scrutin. Les résultats électoraux ont été rejetés par plusieurs gouvernements étrangers et par des organisations internationales qui les ont considérés non-crédibles et entachés par des fraudes. Beaucoup d’Ukrainiens sont descendus dans la rue dans ce qu’on a appelé la Révolution Orange. A la fin, la Cour Suprême a annulé les élections. Quand elles ont été de nouveau organisées, Yanukovych a perdu devant le candidat de l’opposition, Viktor Yushchenko, et a dû démissionner de son poste de premier ministre.
La Révolution Orange de 2004 ne devrait pas être confondue avec les manifestations de l’Euromaidan de 2014 qui ont conduit au renversement de Yanukovych, devenu président en 2010, bien que les évènements de 2004 et 2014 aient été tous inspirés par des sentiments pro-européens et une méfiance de la Russie.
Comme d’habitude, la Russie a présenté cette méfiance comme un signe de “nazisme”. L’idée que le “nazisme” était une force déterminante dans la politique ukrainienne fut le thème fondamental de la propagande justifiant les invasions russes de 2014 et 2022. Elle avait toutefois déjà joué un rôle dans les critiques de la Révolution Orange de 2004, comme l’incident Kovalenko le prouve.
Contrairement au pseudo-parti de Kovalenko, comme mentionné dans notre article précédent, l’Assemblée Nationale Ukrainienne (ANU) était une vraie organisation de droite bien que d’envergure limitée. Lors des journées tendues de la confrontation entre Yanukovych et Yushchenko en 2004, les médias internationaux ukrainiens ont commencé à recevoir des communiqués de presse pro-Yushchenko, signés par Kovalenko en qualité de « président de l’Assemblée Nationale Ukrainienne » (ANU).
Quelle était cette organisation? Cela ne fut pas tout de suite clair. Andriy Shkil, qui était alors le dirigeant de l’ANU, déclara qu’il n’avait jamais entendu parler de ce Kovalenko. D’après Anton Shekhovtsov, un spécialiste de premier plan des mouvements d’extrême-droite en Russie et en Ukraine, Kovalenko « a déclaré que lui-même et son parti organiseraient une marche de soutien au candidat à la présidence, Yushchenko. Le bureau de Yushchenko a immédiatement répliqué qu’ils n’avaient pas besoin de ce soutien et ils ont fait de leur mieux pour rester à l’écart de l’initiative sordide de Kovalenko. Toutefois, le bureau de Yushchenko n’a pu empêcher cette marche et le 26 juin 2004, Kovalenko est passé à l’action. » « Lors de la réunion tenue après la marche, Kovalenko a déclaré: ‘Nous, le parti nationaliste de droite, soutenons le seul candidat des forces de droite: Viktor Yushchenko. Une Ukraine, une nation, un peuple, un président!’ Et il a fait le salut nazi. »
Shekhovtsov a conclu que « la tâche de Kovalenko était simple: en donnant son soutien à Yushchenko sous des bannières de type néo-nazi, il se devait de discréditer le candidat démocratique aux yeux des observateurs occidentaux. Heureusement pour Yushchenko, les médias occidentaux n’ont pas mordu à l’appât et l’ont ignoré, mais quelques organisations occidentales n’ont pas fait de même. » Quelques groupes « antifascistes » occidentaux ont mordu à l’hameçon de la propaganda russe et pendant des années, ils ont utilisé Kovalenko comme preuve que la Révolution Orange avait été soutenue, voire même organisée par des « nazis. »
D’après Shekhovtsov, Kovalenko a agi sur des instructions de Viktor Medvedchuk, qui était à l’époque le chef de l’administration présidentielle du président ukrainien Leonid Kuchma. Medvedchuk est un ami si proche de Poutine que le président russe est le parrain de la fille de Medvedchuk. Selon d’autres sources, Kovalenko a pris ses instructions directement des services de renseignements russes.
Que Kovalenko était un agent russe a été confirmé par la Russie en décembre 2019 quand, après une réunion entre Poutine et le président ukrainien Volodymyr Zelenskyy, un échange de prisonniers a été conclu entre l’Ukraine et les pseudo-républiques de Donetsk et Louhansk qui, en fait, agissaient pour le compte de la Russie. Dans la liste des prisonniers qu’ils voulaient libérer, les Russes ont inclus Kovalenko, qui avait été condamné en 2017 à cinq ans de prison.
Comme le célèbre journaliste ukrainien Denis Kazanskyi l’a expliqué, la Russie a alors revendiqué la « brillante » opération de ses services de renseignements. « Les Russes emploient un gars en Ukraine pour marcher sous des bannières SS, pour faire les gestes de Sieg Heil et allumer des inimitiés inter-ethniques, puis le montrent du doigt et crient ‘Voyez le fascisme ukrainien!’ Et maintenant, ils disent ‘OK, C’est comme ça; c’était notre gars et nous allons le reprendre.’ »
Mais pourquoi Kovalenko était-il en prison? Après s’être présenté comme un nazi et un nationaliste ukrainien en 2004, quand la guerre a éclaté au Donbass, il est réapparu dans la peau d’un « activiste de la paix » poussant les Ukrainiens à refuser l’enrôlement dans l’armée et à se battre contre les séparatistes pro-russes. Il a aussi essayé, bien évidemment suivant les instructions de ses maîtres russes, d’exciter les sentiments séparatistes de la minorité bulgare en Ukraine.
À propos, Kovalenko n’est pas resté tranquille après sa libération dans le cadre de l’échange de prisonniers en 2019. En 2021, il a été attrapé par des agents des services secrets à Kherson qui l’ont de nouveau arrêté comme agent russe.
L’affaire Kovalenko peut paraître un incident mineur mais il est important de montrer que parfois des « nazis » ukrainiens sont en fait des agents provocateurs qui prétendent soutenir la cause ukrainienne dans le seul but d’être filmés avec leurs symboles nazis par les médias russes et d’être utilisés comme « preuve » que ceux qui s’opposent à la Russie en Ukraine sont effectivement des nazis. Quelque chose à garder à l’esprit dans la guerre actuelle.
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