25 avril 2022 | Massimo Introvigne | Bitter Winter
Comme dans d’autres pays, le néonazisme était un phénomène mineur avant 2014, bien qu’il fût responsable de crimes graves
L’Ukraine est devenue indépendante en 1991. A cette date, peu nombreux étaient ceux qui avaient été impliqués de manière significative dans l’occupation de l’Ukraine par l’Allemagne nazie et qui étaient encore en vie. Beaucoup avaient été exécutés par les Soviétiques; d’autres avaient fui à l’étranger ou étaient décédés à un âge avancé. Pourtant, parmi les jeunes gens qui n’avaient jamais connu le nazisme allemand, de petits groupes néo-nazis ont émergé comme dans la plupart des pays européens.
En 2011, j’étais le Représentant de l’OSCE (Organisation pour la Sécurité et la Coopération en Europe) pour la lutte contre le racisme, la xénophobie, l’intolérance et la discrimination contre les chrétiens et les membres d’autres religions. L’une des activités de l’OSCE consistait à visiter des pays participants pour y contrôler l’application des droits de l’homme. Dans ce cadre, j’ai fait équipe avec les Représentants de l’OSCE pour la lutte contre l’antisémitisme et l’islamophobie lors d’une visite en Ukraine.
L’un des principaux problèmes dont nous avons discuté était en fait la présence de militants néo-nazis. J’ai participé à des réunions avec des ONGs représentant des victimes de nazis, des avocats, des officiers de police et des juges. Il est apparu que des nazis étaient en effet actifs en Ukraine, tout comme dans d’autres pays. Bien que leur nombre ne fût estimé qu’à quelques milliers, ils s’étaient rendus coupables de crimes graves, y compris quelques homicides. Leur cible était surtout la minorité rom, dont quelques membres avaient été tués, des immigrés africains et des étudiants étrangers, des juifs et des musulmans.
Des inquiétudes furent exprimées quant à de possible violences nazies lors de l’EURO 2012, le championnat de football européen, qui devait être bientôt organisé conjointement par la Pologne et l’Ukraine. En fait, comme nous avons pu le constater pendant notre mission en 2011 et comme une enquête journalistique célèbre l’a confirmé en 2012, plusieurs nazis ont été recrutés dans la frange violente des supporters d’un club de foot particulier, le Shakhtar de Donetsk.
Le Shakhtar est l’une des deux grandes équipes de foot de niveau européen en Ukraine. Ses supporters violents s’attaquent souvent aux supporters d’un autre club de foot de niveau européen en Ukraine, le Dynamo de Kiev. Ceux-ci sont considérés plus à gauche et enclins à célébrer le passé soviétique (une époque où le Dynamo avait remporté ses victoires les plus mémorables) bien qu’il existe parmi eux aussi une frange d’extrême-droite utilisant les symboles du Ku Klux Klan et des Confédérés de la Guerre civile américaine. En tant qu’Italien, je comprenais la situation du fait que dans notre pays, il y ait aussi des liens entre le néonazisme et les franges les plus radicales des supporters de foot.
Le Shakhtar de Donetsk venait, comme son nom l’indique, de la ville de Donetsk, dans la région du Donbass bien qu’après la guerre de 2014 il ait dû s’installer à Lviv. 75% des habitants de Donetsk parlent le russe. Quand on discutait du problème du néonazisme en 2011, les Ukrainiens russophones n’en étaient pas les victimes. En fait, beaucoup de néo-nazis étaient eux-mêmes russophones.
Comme dans d’autres pays, il y avait en Ukraine des partis d’extrême-droite qui essayaient parfois d’enrôler des supporters de foot nazis mais à l’analyse de leurs résultats électoraux, leur poids n’apparaissait pas très significatif. Aux élections présidentielles de 2010, le candidat d’extrême-droite, Oleh Tiahnybok, n’a récolté que 1,43% des voix.
Le vieux parti d’extrême-droite a été créé dès après l’indépendance de l’Ukraine avec le nom prétentieux de “Assemblée Nationale Ukrainienne” (ANU). Il est resté relativement petit avec ses 0,51% de voix aux élections parlementaires de 1994 (et un siège, plus deux remportés par des membres qui ont concouru comme candidats indépendants), mais il est parvenu à créer une branche paramilitaire, l’ADNU (Auto-Défense Nationale Ukrainienne).
Alors que l’ADNU s’est fait connaître en Ukraine pour ses attaques contre des opposants politiques, elle a également envoyé des volontaires à l’étranger. Dans le conflit de Transnistrie, l’ADNU a pris fait et cause pour les séparatistes pro-russes contre l’armée moldave. Pourtant, dans le conflit suivant en Abkhazie, les combattants de l’ADNU se sont rangés du côté de l’armée géorgienne contre les séparatistes pro-russes et en 2013-2014, ils ont soutenu l’Euromaidan. L’ANU et l’ADNU ont affiché leur soutien à l’auto-détermination des peuples mais l’ont interprété comme cela les arrangeait.
Un mouvement d’extrême-droite plus grand a été fondé en 1991, le Parti Social-National d’Ukraine (PSNU), et réorganisé en 2004 sous le nom de Svoboda (Liberté) avec Tiahnybok comme chef de file. En 2012, il a réalisé un exploit en récoltant plus de 10% des voix mais depuis lors, il est entré en déclin. Dans ses années PSNU, le parti a adopté des symboles nazis et a été dénoncé pour son idéologie raciste et antisémite, même après 2004, l’année où Tiahnybok avait promis de se débarrasser des néo-nazis. Svoboda a participé aux manifestations d’Euromaidan de 2013-2014 qui ont conduit au renversement du président pro-russe Viktor Yanukovych et à un gouvernement postrévolutionnaire. Toutefois, depuis les élections de septembre 2014, il n’est pas parvenu à obtenir un siège au parlement national.
D’autres groupuscules d’extrême-droite ont également participé à l’Euromaidan, mais ni eux ni Svoboda ne représentaient la majorité des manifestants. Ces petits groupes ont formé une plate-forme appelée Pravyi Sektor (Secteur de Droite) dont le dirigeant Dmytro Yarosh s’est acquis une certaine renommée pendant l’Euromaidan. Pravyi Sektor comprenait plusieurs organisations, dont certaines sont nazies et antisémites, alors que d’autres ont des liens avec le crime organisé. Prenant ses distances avec ces groupes, Yarosh a quitté Pravyi Sektor en 2015 et a plus tard été élu au parlement comme candidat indépendant. Après 2015, Pravyi Sektor est entré en déclin alors que son nom est fréquemment utilisé par les médias russes pour prouver que les “nazis” ont une présence importante dans la politique ukrainienne.
Quand en 2004 Tiahnybok a essayé de transformer le PSNU en un “respectable” parti d’extrême-droite, Svoboda, il a dissous sa branche paramilitaire appelée les “Patriotes d’Ukraine”. Leur dirigeant, né en 1979, du nom de Andriy Bilets’kyy, n’a pas accepté la décision et a poursuivi l’activité paramilitaire indépendamment de Svoboda. Ses membres ont été accusés de plusieurs activités criminelles mais il n’a jamais été tout à fait clair si les accusations étaient entièrement vraies ou bien fabriquées pour atteindre un mouvement anti-gouvernemental.
Bilets’kyy est à l’origine du Bataillon Azov que nous allons explorer dans un autre article.
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