28 avril 2023 | The McGill International Review

Extrait de la série du MIR sur la religion et les droits de l’homme.

En juillet 2021, le Parlement français a adopté une loi intitulée « Loi renforçant le respect des principes de la République ». Cette loi vise notamment à renforcer le contrôle du financement étranger des associations, y compris religieuses. Proposant un amendement à cette loi, deux députés du parti au pouvoir La République En Marche (LREM) ont cherché à interdire le port du voile pour les jeunes filles. Bien que rejetée par la commission, cette proposition suggère que le concept de laïcité soulève de multiples questions en France. Au cœur de ce débat : la liberté de religion.

La laïcité est une valeur fondamentale en France. Elle ne fait peut-être pas partie du triptyque « Liberté, Egalité, Fraternité » mais elle entre tout de même en résonance avec chacune de ces valeurs. Pourtant, ce concept n’a pas toujours été un terme justifiant l’exclusion comme il l’est aujourd’hui, mais a dévié du concept tolérant et égalitaire de ses racines révolutionnaires. Pour éclairer ce terme confus qu’est la laïcité, la France doit revenir à la conception originelle de la laïcité, issue de la loi de 1905, qui visaità créer une rupture entre l’Eglise et un Etat neutre .Seule cette conception reflète les valeurs françaises de « Liberté, Egalité, Fraternité ». Cette évolution vers une position plus neutre, mais tolérante, de l’État préserverait la diversité religieuse tout en inversant la domination de la tradition en France, qui a été utilisée pour justifier des positions et des politiques favorisant le catholicisme par rapport à d’autres religions.

La laïcité est un concept qui a émergé dans le sillage de la Révolution française pour établir une République française laïque. À la suite de la Révolution de 1789, les révolutionnaires anticléricaux ont élaboré un régime qui donnerait les pleins pouvoirs à un corps politique élu, mettant ainsi à l’écart toute force d’opposition, telle que l’Église. Cette vision de la France affaiblit le rôle de l’Église catholique dans la sphère publique et permet au pluralisme religieux de s’épanouir. Sous la Troisième République, la séparation entre l’Église et l’État est officiellement inscrite dans le droit avec la loi de 1905, plaçant la France sur la voie de la laïcité [1].

Cependant, depuis les années 1980, des événements tels que la révolution iranienne de 1979 ont suscité un nouvel intérêt pour le débat sur le rôle de l’État dans les affaires religieuses, en particulier en mettant l’islam sous la loupe. En France, le débat sur la religion, et en particulier sur l’islam, s’est matérialisé en 1989 par l’affaire des jeunes filles souhaitant porter le voile islamique pour aller à l’école à Creil [2]. La déclaration de la Cour de 1989 n’a fait qu’alimenter d’intenses débats. Le Conseil d’Etat a jugé qu’un chef d’établissement avait le droit de fixer certaines limites à l’expression de la foi religieuse des élèves. Loin d’être une valeur consensuelle autour de laquelle les Français se rassemblent, la laïcité est devenue un concept qui divise.

Les différentes compréhensions et applications de la laïcité au cours de son histoire s’expliquent par un conflit de valeurs. Les auteurs de la loi de 1905, comme le socialiste Aristide Briand, conçoivent la laïcité comme un principe permettant le vivre-ensemble entre croyants et non-croyants. Cette conception tolérante permet aux croyants de différentes confessions de cohabiter dans un cadre commun républicain. Dans la pratique, l’État intervient dans les affaires religieuses et les nombreuses exceptions au principe de séparation permettent de conclure que cette séparation entre l’Église et l’État n’a jamais eu vocation à être strictement respectée [3]. Forte de cette ambiguïté, la laïcité est aujourd’hui invoquée pour légiférer sur les pratiques religieuses ayant un impact sur l’espace public. C’est donc une définition plus restrictive de la laïcité qui guide la politique française. La loi de 2004 l’illustre bien, l’interdiction du port de signes religieux est une restriction de la liberté.

Cette dualité au sein du concept de laïcité nous laisse songeurs : Faut-il poursuivre l’évolution initiée par la loi de 2004 ou rester fidèle à l’esprit de la loi de 1905 ? La réponse est plus claire lorsque l’on s’appuie sur les valeurs fondatrices de la France, qui ne correspondent pas à la définition plus restrictive de la laïcité, que les révolutionnaires et les rédacteurs de la loi de 1905 préconisaient comme guide. La capacité de la laïcité à réduire les conflits potentiels n’est plus valable puisque le même concept est aujourd’hui utilisé pour attiser les tensions. Or, la laïcité étant au cœur de l’identité française, l’absence de consensus autour de ce concept polarise les débats politiques et permet à des acteurs politiques non tolérants d’accéder au pouvoir.

La loi de 2004, malgré son apparente neutralité, affecte de manière disproportionnée les groupes religieux musulmans par rapport aux catholiques. En effet, les catholiques ne sont pas censés porter un signe ostentatoire – à l’exception peut-être d’une croix – pour exprimer leur foi. Alors que les minorités musulmanes, et en particulier les femmes musulmanes, voient leur droit de porter le voile comme signe de leur foi restreint, le catholicisme bénéficie encore de quelques exceptions justifiées au nom d’une tradition judéo-chrétienne de la nation française. Voir une religieuse avec ses vêtements religieux n’est pas perçu comme une offense, contrairement à une femme portant le voile. Cette perception commune met en évidence la différence de traitement observée entre les groupes religieux. Avec une implication encore plus directe de l’État, l’État français d’Alsace-Moselle ne reconnaît que quatre religions – trois sectes chrétiennes et le judaïsme – tandis que le président est chargé de nommer les évêques catholiques de Strasbourg et de Metz [4]. Ces exceptions montrent clairement que la législation voilée sous le nom de « laïcité » limite la liberté de religion pour les musulmans tout en exemptant les chrétiens .Compte tenu de l’application unilatérale de la laïcité et de sa justification du traitement discriminatoire, on peut se demander si l’adoption d’une loi interdisant les signes religieux n’a pas été utilisée pour cibler un groupe religieux spécifique. La loi veut-elle exclure un groupe ou l’inclure dans l’ensemble républicain ?

De plus, la question des groupes religieux islamiques est associée aux débats populaires sur l’immigration. La crise migratoire de 2015 et la récente crise de l’immigration afghane ont confronté la France à la question de l’islam. Des personnalités d’extrême droite telles que Marine Le Pen et Éric Zemmour justifient leur position anti-inclusion en affirmant que ces migrants sont en quelque sorte incompatibles avec la culture française. Lors de la campagne présidentielle de 2017, Marine Le Pen a invoqué la laïcité pour justifier l’élargissement de la loi de 2004 visant à interdire les symboles religieux dans tous les espaces publics. L’immigration est utilisée comme excuse pour comprendre la laïcité de manière restrictive et sert à justifier les politiques d’exclusion à l’égard des musulmans.

l est temps de reconnaître que le consensus issu de la loi de 1905 n’existe plus. Les débats entre radicaux et modérés que la loi de 1905 voulait apaiser ressurgissent. Cet article est une invitation à reconsidérer la laïcité comme un concept multivalent utilisé pour justifier les discriminations. Le concept de laïcité est fondateur de l’identité et du système politique français. Il convient donc de s’attaquer aux contradictions qu’il recèle. Les partis politiques, ainsi que la société française, sont déchirés par le débat sur la place de la religion en France. Aujourd’hui, le débat se limite à tort à la place de l’islam dans la société française. Cela suggère que nous devons remettre en question les exceptions à la laïcité qui ont été autorisées pendant des décennies. Remettre en cause ces exceptions, c’est aussi reconnaître la prépondérance des traditions judéo-chrétiennes dans le discours sur la religion en France. Le principe de laïcité est au cœur de la constitution actuelle : la République est définie comme « laïque » dans le tout premier article du texte fondateur de la France. Pourtant, vidé de sa substance, le principe de laïcité doit être redéfini à la lumière des principes qu’il a d’abord voulu garantir, à savoir les valeurs fondamentales de liberté, d’égalité et de fraternité.


Édité par Anna Hayes.


[1] Salton, H. T. (2012). L’autre siècle des Lumières en France : Laïcité, politique et rôle de la religion dans le droit français, http://dx.doi.org/10.5539/jpl.v5n4p30

[2] Gaudin, Philippe.  » ‘République et Laïcité ‘ : quels enjeux dans la France contemporaine ?  » Philosophie & Critique sociale 42,no 4-5 (mai 2016) : 440‑47. https://doi.org/10.1177/0191453716631011.

[3] Salton, H. T. (2012). L’autre siècle des Lumières en France : Laïcité, politique et rôle de la religion dans le droit français, http://dx.doi.org/10.5539/jpl.v5n4p30

[4] Salton, H. T. (2012). L’autre siècle des Lumières en France : Laïcité, politique et rôle de la religion dans le droit français, http://dx.doi.org/10.5539/jpl.v5n4p30