3 janvier 2023 | Le Messager du Canada

Il y a 30 ans, la Cour suprême du Canada (CSC) a donné raison à Larry Steve Renaud, qui, par motif de conscience, refusait de travailler le sabbat.’ La cour a statué que l’employeur et le syndicat devaient négocier un accommodement, tout en reconnaissant la responsabilité de l’employé de se montrer raisonnable dans cette recherche d’accommodement. Ce cas était sans précédent.

«Cette expérience m’a appris qu’il n’est pas facile de défendre ses croyances, se rappelle M. Renaud, mais il faut être capable de rester fidèle à sa conscience, car c’est le seul moyen d’être véritablement en paix. Savoir que l’on obéit à la loi de Dieu est réconfortant, même si cela peut s’avérer difficile. »

Originaire d’Haïti, M. Renaud a immigré au Canada en 1972. En 1980, l’école de district n° 23 de Kelowna, en Colombie-Britannique, l’a embauché comme concierge. Convaincu par la suite du sabbat en 1985, il faisait maintenant face à une crise de conscience, car ses croyances impliquaient qu’il ne pouvait plus travailler le vendredi après le coucher du soleil.

À sa demande de ne pas travailler le sabbat, son employeur lui a répondu d’utiliser ses congés personnels, mais cette solution temporaire n’a fonctionné que quelques mois. L’employeur lui a ensuite suggéré de communiquer avec le syndicat, puisque tout accommodement nécessitait de changer la convention collective. Mécontent qu’il se soit d’abord adressé à l’école de district, le syndicat a considéré que changer la convention pour lui créerait un précédent ouvrant la porte à d’autres requêtes semblables.

« J’avais un problème avec cet argument, se souvient-il, car le syndicat permettait et trouvait correct qu’un de mes collègues joue souvent de la musique avec son groupe dans un bar le vendredi soir.  Alors pourquoi ne pas lui donner congé le sabbat ? Il était prêt à travailler le samedi soir et le dimanche pour s’assurer que l’école était propre le lundi matin pour les classes, mais sa suggestion a été rejetée, en partie en raison de la convention collective qui exigeait la rémunération des heures supplémentaires pour les quarts de soir et le dimanche. M. Renaud était prêt à travailler au salaire de base, mais cet accommodement et d’autres encore ont été rejetés par le syndicat, qui ne voulait pas modifier la convention collective et qui a même menacé de déposer un grief si l’école de district l’accommodait.

Responsable d’une jeune famille, il était difficile pour lui de perdre son emploi. Ses amis ont désapprouvé son choix, car selon eux, son devoir était d’abord envers sa famille, et il devait conserver ce travail jusqu’à ce que Dieu le conduise ailleurs. Il a plutôt choisi de perdre son emploi et d’honorer Dieu.

L’agent au bureau d’assurance-emploi l’a informé qu’on avait eu tort de le congédier. Il explique ainsi : « Les choses se sont enchainées tandis que la situation évoluait d’elle-même, et je n’avais pas anticipé une telle tournure des événements. On ma mené a déposer une plainte auprès des autorités en matière des droits de la personne, et c’est à ce moment que l’aventure juridique a débuté. »

Au cours des différentes étapes de l’action en justice. M. Renaud a continué de placer sa confiance en Dieu.

« L’expérience en tut une de montagnes russes, admet-il. Ça allait bien lorsque le jugement était en ma faveur, et moins bien quand une instance supérieure rejetait ma demande. La poursuite est devenue partie integrante de ma vie quotidienne, sans pour autant me consumer, car je faisais confiance à Dieu et le savais qu’il était aux commandes. J’arrivais donc quand même à apprécier la vie. Mes entreprises étaient agréables, car mon petit garçon m’accompagnait quand j’allais entretenir les pelouses et, bien souvent aussi, lorsque je vendais des glaces. Ma famille entière me soutenait, s’occupant de la promotion. » Nul doute que son commerce de crème glacée a connu un franc succès auprès de sa famille !

Il a donc retenu les services d’un avocat de l’aide juridique. Le Conseil des droits de la personne de la Colombie-Britannique a jugé en sa faveur, mais en appel, la Cour suprême provinciale a rendu une décision contraire. C’est alors que son avocat lui a dit qu’il ne possédait ni l’expertise ni le soutien financier pour poursuivre sa défense.

Il s’est alors tourné vers l’avocate Karen Scott. Il avait été impressionné en l’écoutant parler, au Camp Hope, d’un cas de liberté religieuse sur lequel elle avait travaillé. Il lui a donc demandé de l’aider. Elle exerçait seule et en pratique privée. seulement six mois après avoir été admise au Barreau. C’est ainsi dire qu’elle en était au tout début de sa carrière juridique !

Après l’audience à la Cour d’appel provinciale, elle savait d’emblée que cette cause finirait sans doute au tribunal de la plus haute instance. « La CSC, explique M Scott, avait déjà statué que les employeurs se devaient d’accommoder les besoins des employés, mais en quoi consistait l’obligation de l’employeur en présence d’une convention collective ? C’était la première fois dans l’histoire juridique canadienne que cette question était présentée devant les tribunaux. »

Elle a donc suggéré que M. Renaud et son épouse Siegrid fassent appel à un avocat plus d’expérimentée. « Quand je lui ai demandé, au début, de se charger de ma cause, se rappelle-t-il, elle sentait qu’elle n’avait pas suffisamment d’expérience pour me représenter adéquatement. Je lui ai répondu que je préférais avoir une avocate manquant d’expérience, mais qui avait foi en Dieu et lui faisait confiance, qu’un avocat chevronné dépourvu de ces attributs. » Il se souvient aussi qu’elle « travaillait dur et priait avec plus de ferveur, offrant un ferme soutien sur toute la ligne. Elle a partagé mes déceptions, mes espérances et mon ultime victoire comme une amie plutôt que seulement comme une avocate défendant ma cause. »

Karnik Doukmetzian, à l’époque directeur des Affaires publiques et de la liberté religieuse de l’Église adventiste du septième jour au Canada (EASJC), est d’accord: « Karen a porté seule le poids de cette cause au nom de Steve et mené un vaillant combat afin de redresser un tort. » Par l’entremise de M Doukmetzian, l’EASIC a fourni à M Scott les ressources financières requises pour réaliser le travail.

Ce combat juridique de sept ans a connu ses moments difficiles. M. Renaud a, entre autres, été victime, durant les audiences, de représentations erronées dépeintes par l’employeur et le syndicat, et il a compris bien des choses quand des journalistes l’ont cité à tort. « Quel choc ce fut lorsque c’est arrivé pour la première fois! », se rappelle-t-il. Puis, il a vécu les déceptions de la défaite, ce qui est compréhensible, avant l’exultation de la victoire. En rétrospective, il voit cette affaire comme un gain certain pour le royaume de Dieu, parce qu’il a pu témoigner de l’importance d’observer le sabbat.

Lorsque des étrangers le reconnaissaient parfois sur la rue à cause des articles de journaux et l’appelaient « Larry », comme les médias, sa famille et ses amis le taquinaient sans cesse. car ils le connaissaient tous sous son second prénom, Steve, celui qu’il utilisait couramment.

Il était présent à toutes les instances pour entendre les arguments en direct. Il recueillait des questions posées par les juges des indices quant à l’issue de l’audience. À la Cour suprême de la Colombie-Britannique (CSCB), il a vu la décision du Conseil provincial des droits de la personne tournée en dérision. De même, les trois juges de la Cour d’appel ont manifesté beaucoup de sympathie envers l’employeur et le syndicat. Mais à la CSC, il a observé une attitude différente. Les juges posaient des questions directes et intenses aux avocats de l’école de district et du syndicat. « Cette fois-ci, ils étaient sur la défensive, mentionne M. Renaud, et il était très évident que les juges étaient de notre côté, ce qui m’a procuré un sentiment merveilleux. »

Il avait confiance en Dieu, et son avocate aussi. Elle était profondément consciente de l’envergure de cette cause. « Il n’y avait pas que l’avenir de Steve entre mes mains, se rappelle-t-elle, mais aussi le sort de chaque observateur du sabbat du pays. C’est à ce moment que j’ai prié davantage pour que Dieu me guide et me dirige, et que je lui ai demandé de préparer le cœur des juges à trancher en faveur de Steve. »

Le soir précédant l’audience devant la CSC, M Scott a prié pour recevoir de la sagesse. « Je ne voulais pas simplement lire la plaidoirie écrite que j’avais soumise, se souvient-elle, mais rien ne semblait fonctionner. J’ai alors une fois de plus crié à Dieu, lui disant combien cette cause était importante et que je ne pouvais rien faire par moi-même. Ayant déjà conseillé d’autres clients cherchant à être exemptés d’adhérer à un syndicat, je réclamais maintenant sa promesse trouvée dans Luc 21.14, 15 pour recevoir les paroles appropriées. Après des semaines de lutte, j’avais enfin les paroles de défense à présenter à la cour. »

Étant donné l’importance de cette cause, la Commission ontarienne des droits de la personne, l’organisation ontarienne des Personnes avec un handicap pour l’égalité d’emploi et des personnes unies pour l’autonomie (2) ainsi que l’EASJC ont toutes les trois obtenu de la CSC la permission de plaider devant le tribunal.

M Doukmetzian, qui plaidait au nom de l’EASJC, se souvient du jour de l’audience: « Nous étions tous très nerveux de nous retrouver devant le plus haut tribunal du pays pour soutenir non seulement Steve, mais l’Église et nos croyances. Ce fut pour nous un privilège, en tant qu’avocats adventistes, de nous trouver devant cette cour. » Cette victoire sert aujourd’hui de fondement non seulement aux accommodements en matière d’emploi pour toutes les religions, mais également aux droits d’accommodement d’autres personnes, y compris celles ayant un handicap.

L’affaire Renaud continue d’aider non seulement les personnes ayant besoin d’un accommodement pour le sabbat, mais également celles faisant face à d’autres besoins, tels que relatifs à un handicap.

Les syndicats à l’échelle nationale soutiennent désormais cette cause. Qui plus est, certains experts croient que la décision rendue dans cette affaire est l’une des raisons qui font du Canada un leader mondial pour ce qui est d’offrir un environnement de travail positif. Dieu continue, 30 ans plus tard, de bénir de nombreuses personnes grâce à l’engagement qu’a pris M. Renaud de l’honorer et de lui obéir.


Barry W. Bussey est le président et directeur général de First Freedoms Foundation (www.firstfreedoms.ca).


Cet article a été publié en anglais dans le numéro de janvier 2022 du Canadian Adventist Messenger. Un article couvrant cette histoire avait également paru dans le numéro d’octobre 1992 du Canadian Adventist Messenger; il était écrit par Karnik Doukmetzian, qui occupait à l’époque le poste de directeur des Affaires publiques et de la liberté religieuse de l’ÉASJC.


1 École de district no 23 de Central Okanagan c. Renaud, 1992 CanLII 81 (SCC), [1992] 2 SCR 970, https://canlii.ca/t/1fs7w

2 Nom original de l’organisation : Disabled People for Employment Equality and Persons United for Self-Help in Ontario.