29 avril 2022 | Massimo Introvigne | Bitter Winter

Je poursuis avec cet article mon compte rendu de « Religious Confession and Evidential Privilege in the 21st Century » (Cleveland, Queensland : Shepherd Street Press, 2021), dirigé par Mark Hill et A. Keith Thompson. Ce livre traite du secret de la confession et explique comment les lois permettant aux ministres de ne révéler à personne, y compris à la police ou aux juges, ce qui leur a été dit par des paroissiens dans le cadre d’une relation confidentielle clergé-pénitent, ont été attaquées par ceux qui proposaient de les abolir après l’éclatement du scandale des prêtres pédophiles dans l’Église catholique.

L’auteur du dernier chapitre du livre est Eric Lieberman, un éminent avocat new-yorkais. Le chapitre revêt une importance particulière car c’est le seul qui dépasse le cas des confessions chrétiennes – même si la plupart des autres auteurs font également remarquer que le problème, dans un scénario contemporain de pluralisme religieux, concerne nécessairement toutes les religions.

Lieberman part du premier amendement de la Constitution des États-Unis, qui interdit l’établissement d’une religion par le gouvernement, ce qui interdit également que la confession telle qu’elle est pratiquée par une église soit plus protégée que des pratiques similaires dans d’autres religions, et qui protège le libre exercice de la religion contre l’interférence gouvernementale. Il explique que la jurisprudence d’autres pays a un impact limité aux États-Unis, puisque « la clause de libre exercice est un concept et une invention américains originaux, différents de tout ce qui a été connu auparavant » (p. 282).

Le premier amendement est également, selon Lieberman, l’une des raisons pour lesquelles de nouvelles religions ont pu naître et s’épanouir aux États-Unis plus facilement qu’ailleurs. L’une de ces nouvelles religions est la Scientology, qui fait l’objet du chapitre de Lieberman. Il note que la Scientology n’est pas une simple note de bas de page dans le livre, car elle offre « un exemple unique de religion moderne en expansion dont les pratiques centrales reposent sur des communications hautement confidentielles entre les paroissiens et le clergé. La structure des communications confidentielles de la Scientology traduit en pratique les principes et les croyances de la religion et de sa communauté. En effet, la capacité de l’Église de Scientology à pratiquer ses croyances repose sur la confidentialité des communications entre ses paroissiens et ses ministres » (p. 282-83).

Le problème central, que la Scientology a bien sûr en commun avec d’autres religions, est que ses pratiques confidentielles « ne correspondent pas aux modèles chrétiens traditionnels » (p. 283). Or, ce sont ces modèles que les juges qui ont créé la jurisprudence américaine sur le secret de la confession avaient à l’esprit. La pratique centrale de la Scientology est l’« audition », dans le cadre de laquelle un ministre formé et qualifié (auditeur) offre un conseil spirituel aux paroissiens, dans le but de les aider à surmonter leurs problèmes et à accroître leurs capacités.

Les paroissiens sont censés informer l’auditeur de leurs « retenues », c’est-à-dire des actes contre eux-mêmes ou contre d’autres susceptibles de nuire à leur progrès spirituel, actes qu’ils « retiennent » et évitent de communiquer. Il s’agit d’une pratique confessionnelle qui a des centaines de versions spécialisées différentes – par exemple, le conseil matrimonial de la Scientology pour les problèmes de couple –, et qui ne peut fonctionner que si les paroissiens sont « sûrs que leurs communications resteront absolument sécurisées et ne seront pas divulguées » (p. 286). En fait, un paroissien peut « révéler dans l’audition des informations de nature très personnelle et confidentielle. En d’autres termes, un paroissien peut dévoiler à son ministre des secrets jamais révélés à personne. Ces informations peuvent révéler des actes immoraux ou contraires à l’éthique, ou relever de toute la gamme des émotions, événements, considérations et histoires indésirables » (p. 288). La confidentialité est donc essentielle.

À cet égard, la pratique présente des analogies avec la confession chrétienne. Cependant, contrairement à cette dernière, l’audition de Scientology exige que l’auditeur prenne des notes, qui sont conservées dans un dossier spécial appelé « dossier de préclair » (indiquant que le paroissien doit passer à l’état spirituel plus avancé de « Clair ») et conservé sous clé dans des conditions de haute sécurité. Comme la Scientology croit en la réincarnation, lorsque les paroissiens meurent, leurs dossiers sont stockés pour leur « retour dans la prochaine vie » (p. 290). De plus, les auditeurs sont supervisés par des « superviseurs de cas », qui n’ont aucun contact avec les paroissiens audités mais ont accès à leurs dossiers de préclairs où ils placent leurs instructions écrites destinées aux auditeurs. L’équipe ministérielle comprend également un « responsable de l’éthique », qui guide le paroissien pour résoudre les problèmes d’éthique si nécessaire.

Ces différences invalident-elles l’application à l’audition de la Scientology des principes que les tribunaux américains ont reconnus comme protégeant la confession chrétienne ? Pour répondre à cette question, selon Lieberman, deux prémisses sont nécessaires. Tout d’abord, alors que la plupart des affaires concernant le privilège de la confession ont été tranchées selon la « common law », la décision historique de 1959 « Mullen » par le Circuit du District de Columbia « et ses conséquences imposent inévitablement la reconnaissance du privilège comme étant fondé sur la Constitution » (p. 294). Raisonner autrement impliquerait que le privilège s’applique « seulement à certaines dénominations ou pratiques et pas à d’autres » (p. 295).

Deuxièmement, Lieberman soutient que les éléments qui rendent les pratiques confessionnelles de la Scientology différentes de la confession catholique ne sont pas uniques. Il n’est pas vrai, en particulier, que seulement dans la Scientology la « confession » n’est pas une pratique individuelle mais implique plus de deux personnes. Dès 1917, dans l’affaire « Reutkemeier c. Nolte », la Cour suprême de l’Iowa a étendu le privilège de la confession à une « confession de péché » faite par une femme presbytérienne à son pasteur et à trois anciens de la congrégation. En 1994, la Cour suprême de l’Utah a conclu que les communications faites pour obtenir des conseils ecclésiastiques à un évêque mormon (qui a une position similaire à celle d’un curé catholique) ne perdaient pas leur statut privilégié sous prétexte que l’évêque les avait ensuite transmises pour examen à un tribunal du haut conseil du pieu (l’équivalent d’un diocèse). D’autres décisions ont abouti à la même conclusion, une cour d’appel fédérale déclarant en 1990 que l’exclusion du privilège des communications confidentielles qui atteignent plus d’un ministre du même corps religieux risquerait de « restreindre le privilège aux seules communications pénitentiaires catholiques romaines », ce qui serait constitutionnellement inadmissible (p. 301).

Il est également vrai, note Lieberman, qu’une solide jurisprudence de la Cour suprême affirme que l’État ne peut pas interférer dans la manière dont les organismes religieux décident de s’autoorganiser. La conclusion est qu’il serait « inconcevable dans le cadre de ces affaires qu’un tribunal des États-Unis ordonne à un ministre du culte de divulguer une communication privilégiée, de façon contraire aux règles et à la gouvernance de son église, même dans le cas peu probable où le paroissien aurait renoncé au privilège » (p. 305).

Le cas d’un pénitent, suspecté de meurtre, qui a consenti à l’utilisation au tribunal d’une confession faite à un prêtre catholique en prison et enregistrée à l’insu du prêtre, a été tranché par la Cour d’appel des États-Unis pour le neuvième circuit en 1997 dans l’affaire « Mockaitis c. Harcleroad ». La Cour a conclu que, nonobstant le consentement du pénitent, la confession ne peut être utilisée comme preuve, et que toute utilisation de ce type violerait la liberté religieuse du prêtre et de l’Église catholique. Il est vrai que l’affaire a été jugée en vertu de la loi sur la restauration de la liberté religieuse (RFRA), qui a ensuite été déclarée inconstitutionnelle pour d’autres motifs, mais M. Lieberman estime que les principes généraux affirmés par « Mockaitis » découlent de la Constitution plutôt que de la RFRA, et que leur interprétation reste valable.

Si les communications confessionnelles aux ministres sont protégées sans tenir compte de la religion qui les a reçues, ni du nombre de ministres qui y ont eu accès, ni du fait qu’elles aient été écrites et conservées ou non, et que sur ces questions les religions sont libres de s’autoorganiser comme elles le jugent bon, alors la conclusion concernant la Scientology est inéluctable, affirme Lieberman. « La pratique centrale de l’audition de la Scientology remplit toutes les conditions nécessaires pour bénéficier d’une protection totale dans tous les États et devant les tribunaux fédéraux en vertu des normes constitutionnelles. » (p. 307)

L’audition « emploie plus d’un ministre », mais « cette caractéristique est rendue nécessaire par les croyances et la structure de la religion, comme dans de nombreuses dénominations autres que la Scientology ». Tout comme un prêtre catholique, « un auditeur de Scientology n’a pas le droit, pour des raisons de foi et de doctrine, de révéler ce qui est dit ou écrit lors d’une séance d’audition, ce qui serait contraire à son engagement religieux de ne jamais le faire, et cela même si un fidèle tente de “renoncer” à son privilège. » Les auditeurs devraient être protégés tout comme les prêtres catholiques. « En fin de compte, toutes les religions et toutes les croyances doivent être traitées de manière égale en reconnaissant les diverses formes et pratiques avec lesquelles les Américains pratiquent leur foi. » (p. 307).