28 avril 2022 | Massimo Introvigne | Bitter Winter
« Religious Confession and Evidential Privilege in the 21st Century » (Cleveland, Queensland : Shepherd Street Press, 2021), sous la direction de Mark Hill, un éminent avocat britannique, et A. Keith Thompson, professeur et doyen associé de la faculté de droit de l’Université de Notre Dame Australie, avec un avant-propos de l’ancien archevêque de Canterbury Rowan Williams, pourrait bien être l’un des livres sur la religion les plus importants de 2022 (l’année de sa sortie, bien qu’il porte la date de copyright 2021). Je le passerai en revue dans une série d’articles, divisés en fonction de leur portée géographique. Dans ce premier article, je me concentre sur l’Australie.
Le sujet du livre est la revendication, née de cas horribles d’abus sexuels perpétrés par des prêtres catholiques et des ministres d’autres religions, selon laquelle les lois protégeant la confidentialité de la confession chrétienne et des pratiques similaires dans d’autres religions devraient être abrogées. Ce que Rowan Williams appelle une « attaque juridique troublante » contre un principe juridique consacré de longue date (p. 9 : les citations de cette série sont tirées du livre de Hill et Thompson, sauf indication contraire) repose sur l’idée que les religions ont protégé les auteur d’abus sexuels en se cachant derrière le sceau de la confession. Les religieux ont rétorqué, comme l’écrit Williams, que « le “sceau” de la confession n’est pas – comme certains critiques le prétendent – une forme de secret malveillant, mais une assurance que toutes sortes de comportements destructeurs et nuisibles peuvent être exprimés, nommés et reconnus pour ce qu’ils sont » (p. 8). Si les tribunaux ne reconnaissaient pas le caractère confidentiel des confessions faites à un ministre du culte, elles ne seraient finalement pas faites du tout.
Le livre examine la situation et les controverses liées à ce sujet dans six pays différents : Australie, Royaume-Uni, Irlande, Italie, Norvège et Suède. L’examen aurait pu être élargi à d’autres pays comme la France, où des problèmes similaires ont été discutés après qu’un rapport commandé par l’Église catholique en 2021 sur les abus sexuels sur mineurs perpétrés par des prêtres catholiques a suggéré que le nombre de cas d’abus sexuels pourrait être beaucoup plus élevé qu’on ne le pensait. Les livres collectifs ont toutefois des limites, et celui-ci représente déjà un volume de 300 pages.
L’Australie est un pays où le problème fut soulevé pour la première fois, avec la tentative infructueuse, en 2003, du sénateur controversé Nick Xenophon, parti en croisade à la fois contre l’Église catholique et les « sectes », de contraindre les ministres du culte d’Australie-Méridionale à divulguer le contenu des confessions dans les cas d’abus sexuels sur des enfants.
Le rapport de 2017 de la Commission royale sur les réponses institutionnelles à la maltraitance des enfants recommandait aux gouvernements des États et territoires australiens de supprimer le privilège de la confession dans les cas d’abus sexuels sur des enfants. La plupart des États et territoires australiens ont suivi cette recommandation, créant un conflit avec l’Église catholique, qui a immédiatement répondu que les prêtres iraient en prison plutôt que de violer l’obligation sacrée liée à la confession. Les évêques australiens déclarèrent que ceux qui obéiraient aux lois australiennes seraient excommuniés.
Comme l’expliquent Robert Netanek et Patrick Parkinson dans leur chapitre, en 2020 certains évêques catholiques australiens, suivant une suggestion de la Commission royale elle-même, essayèrent de trouver une solution où le privilège de la confession religieuse serait maintenu mais où les prêtres auraient pour instruction de ne pas donner l’absolution tant que les pénitents ayant confessé des péchés d’abus d’enfants ne se seraient pas signalés aux autorités. Cependant, les évêques écrivirent au Vatican, dont la Pénitencerie Apostolique, compétente en matière de confession, leur répondit que « l’absolution ne peut être subordonnée à des actions futures dans le forum externe » (p. 89).
Dans son chapitre, A. Keith Thompson note que la situation actuelle du privilège de la confession religieuse en Australie n’est pas totalement claire, car les nouvelles lois qui ont suivi le rapport de la Commission royale contrastent avec d’autres normes qui n’ont pas été abrogées. Thompson rapporte que des lois protégeant le privilège ont été introduites en Australie et en Nouvelle-Zélande depuis le XIXe siècle, à la suite de cas controversés où l’opinion publique s’était largement rangée du côté des prêtres, tandis que la position de la Commission royale était « une réaction sous-théorisée à une panique morale » (p. 58). Sa critique de la Commission et des nouvelles lois s’appuie sur quatre arguments.
Tout d’abord, comme Jeremy Bentham (1748-1832), philosophe anglais qui n’était un ami ni de la religion ni de l’Église catholique, l’a fait remarquer au début du XIXe siècle, « dès que l’on saura que la police a récolté son tout premier secret de confession, le puits de ces secrets se tarira » (p. 45). Les criminels ne confesseraient pas leurs péchés aux prêtres et aux ministres s’ils savaient que ce qu’ils confessent serait rapporté à la police. Deuxièmement, en pratique, très peu d’auteurs et de victimes avouent les incidents d’abus sexuels aux prêtres et aux pasteurs, et lorsqu’ils le font, ils essaient de rester vagues sur les détails, de sorte qu’un hypothétique rapport du ministre ne serait guère utile aux autorités.
Troisièmement, le rapport obligatoire des informations que les ministres ont apprises en dehors de la confession, auquel l’Église catholique et les autres confessions chrétiennes ne s’opposent pas, est la véritable clé pour améliorer la protection des enfants, comme le démontre l’expérience de plusieurs États australiens. Quatrièmement, l’argument de la Commission selon lequel l’abrogation du privilège de la confession religieuse ne violerait pas l’article 18 du Pacte international relatif aux droits civils et politiques sur la liberté de religion ou de croyance, parce que cette disposition autorise des « restrictions » justifiées par « l’ordre public » et « la morale publique », est erroné et repose sur une « mauvaise interprétation » de l’article (p. 60). En effet, toutes les restrictions ne sont pas justifiées, la sphère de la conscience (dans ce cas, des prêtres et des ministres) doit rester inviolable, et la Commission n’a pas prouvé que les mêmes résultats ne sauraient être atteints sans violer gravement la liberté religieuse.
La Commission royale, soutiennent Netanek et Parkinson, a également commis des erreurs factuelles (comme elle l’a fait à propos des Témoins de Jéhovah, ainsi que l’a démontré Holly Folk dans Bitter Winter). Elle n’a pas cru l’argument des évêques catholiques selon lequel les aveux ne contiennent presque jamais d’éléments qui seraient utiles à la police pour prévenir d’autres abus d’enfants et identifier les auteurs. La Commission s’est appuyée sur deux sources principales. La première est l’affirmation du prêtre australien défroqué Michael Joseph McArdle, que la Commission a cité à partir du livre du journaliste britannique anticatholique John Cornwell, « The Dark Box : A Secret History of Confession » (New York : Basic Books, 2014), selon laquelle il avait raconté à d’autres prêtres ses abus quelque 1 500 fois en confession. Cependant, la Commission n’a pas tenu compte du fait que les juges de son affaire ont considéré McArdle comme un menteur pathologique, et qu’il a essayé d’utiliser l’histoire de ses prétendus aveux pour détourner la responsabilité de ses propres actes vers l’Église catholique.
La deuxième source était une analyse qualitative de neuf prêtres coupables d’abus sexuels ayant accepté de lui parler, réalisée par la psychologue irlandaise Marie Keenan. La Commission s’est appuyée sur la conclusion de Keenan selon laquelle huit des neuf prêtres avaient révélé leurs abus en confession. Toutefois, Madame Keenan a également indiqué qu’ils l’avaient fait sans divulguer de détails qui auraient pu permettre de les identifier ou d’identifier les victimes. Peut-être certains membres de la Commission ne savaient-ils pas qu’en Irlande et dans d’autres pays, dont l’Australie, dans de nombreuses églises catholiques, les pénitents peuvent se confesser en se cachant derrière une grille. Ceux qui ne veulent pas être identifiés peuvent également se confesser loin de leur lieu de résidence, une pratique courante chez les catholiques.
En 2019, ajoutent Netanek et Parkinson, un rapport de la Direction de la justice et de la sécurité communautaire du Territoire de la capitale australienne avait déconseillé l’élimination du privilège de la confession en faisant valoir que, s’ils savaient qu’ils risquaient d’être dénoncés à la police par leur prêtre, les auteurs de crimes « éviteraient probablement de se confesser complètement ; ou bien, ils pourraient exploiter le rite de la confession qui prévaut en Australie pour se confesser de manière anonyme et non spécifique » (p. 104). La conclusion de Netanek et Parkinson est que les nouvelles lois contre le privilège de la confession ne sauveront pas un seul enfant de l’abus sexuel, tout en créant un dangereux précédent menaçant la liberté religieuse en général.
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