10 février 2023 | Massimo Introvigne | Bitter winter
Le Parlement japonais a adopté des lois considérant comme frauduleuses les donations motivées par la « peur » et pour lesquelles le « libre arbitre » des donateurs aurait été inhibé.
Le 10 décembre 2022, le Parlement japonais a promulgué une loi sur la révision partielle de la Loi sur les contrats de vente aux consommateurset une Loi sur la prévention de sollicitation injustifiée de dons par des personnes morales ou autres.
Fait inhabituel, ces lois ont été adoptées pendant un week-end, soulignant ainsi qu’elles étaient considérées comme urgentes par le gouvernement et les parlementaires. Qu’y avait-il de si urgent ?
Le 8 juillet 2022, l’ancien Premier ministre japonais Shinzo Abe a été assassiné à Nara, au Japon. Son meurtrier était un certain Tetsuya Yamagami. Il a tué Abe parce que l’ancien Premier ministre avait participé, par le biais d’une vidéo en 2021 et par l’envoi d’un message en 2022, à deux événements organisés par la Fédération pour la paix universelle, une ONG dotée d’un statut consultatif général auprès des Nations Unies et liée à l’Église de l’Unification, fondée par feu le révérend Sun Myung Moon. (Elle s’appelle maintenant Fédération des familles pour la paix mondiale et l’unification, bien que les médias continuent d’utiliser les termes « Église de l’Unification » ou « ancienne Église de l’Unification », et je suivrai cet usage).
Yamagami détestait l’Église de l’Unification car vingt ans auparavant, en 2002, sa mère avait fait faillite, et il attribuait sa ruine aux dons excessifs qu’elle avait faits à cette Église, dont elle est toujours membre. Yamagami envisageait également d’assassiner l’actuelle dirigeante de l’Église de l’Unification, la veuve du révérend Moon, Dr Hak Ja Han Moon, mais il s’est finalement contenté de tuer Abe.
Presque du jour au lendemain, ce qui ne peut qu’éveiller des soupçons sur la préparation préalable d’une campagne n’attendant qu’une occasion pour démarrer, les opposants à l’Église de l’Unification ont lancé une attaque massive et sans précédent contre le mouvement religieux, persuadant la plupart des médias et, si l’on en croit les sondages, la majorité de l’opinion publique japonaise, que l’organisation du révérend Moon était responsable du crime. L’argument tordu utilisé était que si la mère de Yamagami n’avait pas fait de dons à l’Église de l’Unification, son fils n’aurait pas eu de grief contre elle et n’aurait pas assassiné Abe.
Les opposants au Parti libéral-démocrate au pouvoir, dont Abe était membre, ont pris le train en marche, y compris le Parti communiste japonais, qui se plaint depuis des décennies du succès des activités anticommunistes d’organisations liées à l’Église de l’Unification au Japon. Un groupe d’avocats opposés à l’Église de l’Unification, le Réseau national des avocats contre les ventes spirituelles, est devenu internationalement célèbre presque du jour au lendemain. D’anciens membres « apostats » de l’Église de l’Unification, y compris certains dont les narratifs étaient manifestement mensongers, sont également devenus des célébrités et ont même réussi à être reçus par le Premier ministre du Japon.
Toute cette agitation a donné lieu à deux initiatives juridiques, l’une visant à priver l’Église de l’Unification/Fédération des familles de son statut de société religieuse, l’autre à modifier les lois existantes sur la protection des consommateurs afin de protéger ceux qui font des dons excessifs aux organisations religieuses. En fait, le terme « ventes spirituelles » avait été inventé par les médias de gauche et les militants antisectes pour dénoncer la vente à des prix exorbitants de certains objets censés porter chance ou avoir une signification spirituelle. Plus tard, ce terme a inclus les « ventes sans objet matériel », c’est-à-dire les dons.
Le 10 décembre 2022, la loi sur les contrats de vente aux consommateurs, qui avait déjà été modifiée en 2018 sous la pression des avocats ayant dénoncé les « ventes spirituelles », a encore été modifiée. Elle inclut à présent des dispositions déclarant nuls les contrats conclus en exploitant « la crainte pour la vie, la santé, la propriété, ou d’autres questions importantes aux yeux des consommateurs ou de leurs proches », et facilitant leur annulation ainsi que l’obtention de remboursements. La disposition relative au droit de résiliation des contrats est rétroactive, sauf si le délai de prescription établi par la loi précédente était déjà écoulé lorsque la nouvelle loi est entrée en vigueur.
La nouvelle loi contre la « sollicitation injustifiée de dons », également adoptée le 10 décembre, comporte un article 3.1 controversé qui juge illicite « la suppression du libre arbitre des personnes » lorsqu’elles sont sollicitées pour des dons. Elle comporte à l’article 4 une liste de six circonstances indiquant que le don n’était pas spontané. Les circonstances 1 à 4 semblent se référer à la violence physique : les personnes sollicitant le don refusent de partir, même à la demande du donateur potentiel ; les donateurs eux-mêmes sont empêchés de quitter un certain endroit ou conduits dans un lieu où il leur serait plus difficile de résister à la pression ; ou bien ils sont empêchés de consulter des tiers, par téléphone ou d’autres moyens, même s’ils en ont exprimé l’intention.
La 5e circonstance renvoie à un vieux problème et ne concerne pas la religion, mais les relations amoureuses, lorsque l’un des partenaires menace de quitter l’autre si un don spécifique n’est pas fait. Evidemment, cette situation est aussi courante que difficile à prévenir.
Les controverses postérieures à l’assassinat d’Abe concernant l’Église de l’Unification sont traitées par la 6e circonstance, qui est la plus problématique. Elle considère comme frauduleux les cas où le donateur potentiel est sollicité sur la base d’une prétendue « connaissance basée sur l’inspiration ou sur certaines aptitudes spéciales, difficiles à prouver », et persuadé qu’« il est indispensable de faire don de la vie, du corps, des biens ou d’autres éléments importants [de lui-même] ou de ses proches pour éviter un grave préjudice ». Dans ce cas, une « peur » est suscitée chez les donateurs que des « préjudices graves » pourraient les frapper, eux ou leurs proches, « dans le présent ou l’avenir », s’ils ne font pas le don.
L’article 5 interdit de donner la maison où vit le donateur, ainsi que les biens immobiliers ou autres biens indispensables à la poursuite de ses activités commerciales normales.
Le reste de la loi traite de l’aide aux victimes de dons frauduleusement sollicités, avec la collaboration d’« organisations concernées » ( se pourrait-il que ces dernières incluent le Réseau national des avocats contre les ventes spirituelles ou d’autres groupes ayant un programme idéologique antisectes ?). Elle traite également de la possibilité pour les autorités japonaises de rendre public le nom des entités ayant fait l’objet d’une enquête pour sollicitation abusive de dons, ainsi que des recours ouverts aux donateurs trompés pour récupérer ce qu’ils ont donné. La loi n’est pas rétroactive, mais de longs délais de prescription, pouvant aller jusqu’à dix ans, sont introduits. L’article 12 demande que la liberté religieuse soit « prise en considération » lors de l’application de la loi, mais sans en clarifier les modalités.
Certaines dispositions sont raisonnables : il est évident que le recours à la violence physique pour solliciter des dons doit être interdit. Mais fallait-il pour cela une nouvelle loi ? On ne peut oublier que ces lois, quoique de portée générale, ont été adoptées pour cibler les dons religieux et l’Église de l’Unification. Elles présentent ainsi deux aspects très problématiques. Premièrement, elles interdisent les dons fondés sur la revendication d’une « inspiration » religieuse ou sur la « peur » religieuse. Deuxièmement, elles affirment la possibilité que les donateurs soient privés de leur libre arbitre. Ces questions ne sont pas nouvelles et sont en fait débattues depuis des siècles. J’y reviendrai dans les prochains articles de cette série.
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