21 février 2023 | Par Massimo Introvigne | Bitter Winter

Une nouvelle loi autorise les agents à placer des micros dans les maisons et les voitures, à pirater les courriers électroniques et même à se faire passer pour des facteurs chargés de livrer des colis aux personnes soupçonnées de « dérives sectaires ».

Imaginez que vous vivez dans un pays où les « dérives sectaires », jugées à l’aune de ce que la majorité des citoyens considèrent comme le comportement normal, et normalement sans enthousiasme, en matière religieuse sont regardées avec suspicion par les autorités. Vos voisins, qui ne vous aiment pas pour une raison quelconque, signalent à une agence spécialisée dans la lutte contre les sectes ou à la police que vous avez un comportement étrange et que vous faites peut-être partie d’une « secte ». À ce stade, la police peut être autorisée à pirater votre courrier électronique et votre ordinateur ou à placer un microphone caché dans votre maison ou votre voiture. Et méfiez-vous lorsque le facteur frappe à votre porte avec un paquet : il peut s’agir d’un agent de police en civil.

C’est malheureusement le quotidien en Chine, où des milliers de policiers travaillent à plein temps pour réprimer les « sectes », ou en Russie où tous les membres d’un groupe religieux considéré comme « extrémiste », ce qui ne signifie pas violent mais simplement tentant de convertir les membres de l’Église orthodoxe russe majoritaire, peuvent recevoir la visite du Service fédéral de sécurité (FSB), être emmenés en prison, voire torturés. Le monde démocratique continue de dénoncer ces violations flagrantes de la liberté religieuse et des droits de l’homme – à juste titre.

La plupart de ceux qui protestent contre le déni de liberté religieuse en Russie et en Chine seraient très surpris d’apprendre qu’une législation similaire a été introduite dans un pays normalement considéré comme un phare des valeurs démocratiques, la France.

Pays à forte tradition humaniste laïque, la France se méfie de la religion depuis la Révolution française et dispose d’une agence gouvernementale spécialisée et d’unités de police luttant contre les « dérives sectaires ». Il convient toutefois de rappeler que le fait d’être membre d’une « secte » n’est pas en soi un crime en France.

La loi française dite antisectes de 2001 a été critiquée par pratiquement tous les spécialistes internationaux des nouveaux mouvements religieux qui l’ont étudiée, mais même ses dispositions ne font pas de l’appartenance à une « secte » ou de la pratique de « dérives sectaires » un crime. Seule la mise d’une personne par certaines techniques dans un « état de sujétion physique ou psychologique » lui causant un préjudice grave est un délit. Je pense, comme la plupart des spécialistes de mon domaine, que ces techniques n’existent pas, mais en tout cas, dans le système français, le fait qu’elles soient à l’œuvre dans un certain groupe doit être prouvé au cas par cas.

Ainsi, le simple fait d’appartenir à une « secte » ou à un mouvement soupçonné de « dérives sectaires » ne fait pas de vous un délinquant, pas même en France. Le problème est que vous êtes traité comme tel.

Une nouvelle loi du 24 janvier 2023 sur les « orientations et programmes du ministère de l’intérieur », comme le précise son commentaire officiel au point 3.1.2, autorise les autorités françaises compétentes à « appliquer les techniques spéciales d’enquête au délit d’abus de faiblesse en bande organisée, afin de faciliter le travail des enquêteurs dans la lutte contre les dérives sectaires ».

La référence à une « bande organisée » est la clé pour permettre l’utilisation des « techniques spéciales d’investigation ». La nouvelle loi suggère dans son article 16 que le délit typique de la loi antisectes de 2001, « l’abus de faiblesse » à travers les fameuses et mystérieuses techniques créant une sujétion psychologique (une autre incarnation de la théorie discréditée du lavage de cerveau), peut être perpétré par une « bande organisée » – et peut-être est-ce le cas dans la plupart, voire dans tous les cas, car il est difficile d’imaginer une « secte » sans organisation. Cela permet à la fois d’augmenter les peines, jusqu’à sept ans d’emprisonnement et un million d’euros d’amende, et d’appliquer les « techniques spéciales d’investigation » dans l’enquête sur le délit présumé.

Les « techniques spéciales d’investigation » sont celles énumérées à la section XXV du code de procédure pénale. Les policiers pourront pirater des comptes de messagerie, mettre des domiciles et des voitures sur écoute, envoyer de faux courriers et utiliser de fausses identités sur les médias sociaux, se faire passer pour des « sectaires » ou des convertis potentiels et opérer sous couverture, et même – comme nous l’avons déjà mentionné – « livrer ou délivrer à la place des prestataires de services postaux et des opérateurs de fret ces objets, biens ou produits » aux personnes soupçonnées de « dérives sectaires ». Notez que selon l’article 706-79, les officiers de police peuvent être assistés par des « assistants spécialisés » désignés au cas par cas, et je me demande si dans le cas des « sectes », ceux-ci peuvent inclure les militants antisectes.

Les techniques de la section XXV ont été créées pour combattre le terrorisme et le crime organisé. Bien que toujours potentiellement dangereuses pour les droits des accusés, une utilisation limitée de ces techniques peut en principe être admise lorsque la vie de centaines de citoyens ou la sécurité du pays sont en jeu. Rappelons toutefois que dans le cas de « dérives sectaires », lorsqu’une enquête est ouverte, il n’y a même pas la preuve que le groupe sera finalement accusé d’utiliser des techniques interdites de lavage de cerveau (ou quel que soit le nom que la France préfère leur donner), même en supposant qu’elles existent.

L’agence gouvernementale antisectes MIVILUDES admet elle-même dans ses rapports que dans la plupart des cas où elle demande à la police d’enquêter, personne n’est engagé dans un procès. Dans un article qu’elle a publié l’an dernier dans la revue du barreau de Bordeaux (« Revue des libertés fondamentales », juin 2022, 46-55), la chef de la MIVILUDES de l’époque Hanène Romdhane (qui a quitté la mission dans des circonstances houleuses à la fin de l’année 2022) admettait que les procureurs français parvenaient « très rarement » à obtenir des décisions de justice sanctionnant le délit de « sujétion psychologique » par des « dérives sectaires », en raison de « la difficile caractérisation juridique de cette notion d’emprise mentale aux contours flous et éloignés des concepts juridiques »,

Plutôt que de conclure, comme l’ont fait les chercheurs et les tribunaux dans d’autres pays, que l’idée que les « sectes » utilisent des techniques mystérieuses et magiquement efficaces d’« emprise mentale » est un mythe pseudo-scientifique, Mme Romdhane a précisément demandé une loi permettant « le recours aux techniques spéciales d’enquête afin de lutter efficacement contre les dérives sectaires ». Elle a exprimé l’espoir que peut-être « ce recours pourrait permettre de pallier aux obstacles à prouver la sujétion psychologique ». Cependant, s’il n’y a pas de poissons, même l’utilisation des techniques de pêche les plus draconiennes, comme le lancement de bombes dans la rivière, ne permettrait pas aux pêcheurs d’en capturer.

Seule l’idéologie et la rhétorique antisectes semblent justifier la partie de pêche de la police à la recherche de délits imaginaires, et l’intrusion énorme et inutile dans la vie privée et les activités quotidiennes de citoyens paisibles dont le seul crime est, dans la plupart des cas, de penser et de croire différemment de la majorité.