19 avril 2022 | SADF

Pendant les onze années au cours desquelles j’ai été activement engagé en Asie du Sud, rien ne m’a plus touché que la lutte du peuple bangladais pour la mémoire, la justice et la responsabilité concernant le génocide perpétré contre le Bangladesh par les autorités militaires pakistanaises. Ce génocide, organisé en tandem avec des organisations islamiques fanatiques du Pakistan occidental et oriental, avait pour but de détruire l’identité bengalie en assassinant les élites, en détruisant la diversité religieuse et en violant les femmes.

Parmi les événements et les écrits qui se sont succédé en Europe et au Bangladesh, mes souvenirs les plus marquants sont ceux qui ont été rédigés à la suite de la visite de l’unité de chirurgie plastique et des brûlures du Dhaka Medical College Hospital, où d’innombrables victimes des actions terroristes islamistes étaient soignées. À première vue, la question était liée aux conditions supposées défectueuses des élections à venir ; cependant, comme l’a expliqué ‘Zead-Al-Malum – procureur général du TPI – lors d’une conférence publique le 7 [décembre 2013],  » les protestations disparaîtraient si le gouvernement acceptait les demandes de dissolution du Tribunal  » [Tribunal pénal international du Bangladesh (TPI)] (Casaca, 2013a). Toutes les protestations concernant le manque de crédibilité démocratique de ces élections n’étaient qu’un écran de fumée utilisé pour cacher l’objectif fondamental des islamistes d’obtenir l’impunité pour les coupables du génocide.

Aucun de ces faits n’a jamais été relaté dans la presse occidentale, et je n’aurais certainement pas compris ce qui se passait si je n’avais pas été moi-même à Dhaka, pour parler à des médecins, des magistrats, des universitaires ou de simples citoyens. Bien au contraire, une réalité fictive méticuleusement construite, dans laquelle les cerveaux de ce génocide étaient présentés comme des « leaders de l’opposition », des « hommes d’affaires » ou des « entités religieuses » – impitoyablement persécutés par un gouvernement autoritaire – a été martelée sans vergogne dans toute la presse occidentale (et plus particulièrement par certaines ONG comme « Human Rights Watch » ; Casaca, 2013b ; Casaca, 2018).

Réaliser à quel point la réalité était chamboulée, comment les mêmes organisations censées  » veiller  » au respect des  » droits de l’homme  » travaillaient en réalité à assurer l’impunité des auteurs de génocide, était extrêmement choquant. En fait, je n’aurais pas pu y faire face si je n’avais pas été témoin auparavant, en Irak, d’une action similaire de la part de cette même organisation « Genocide Cleansing Incorporated » – visant à purger les responsabilités des autorités islamistes iraniennes concernant le génocide commis en 1988 contre leur propre opposition. Le même modus operandi a été suivi dans les deux cas : blâmer les victimes du génocide pour les violations des droits de l’homme. (Brie et al., 2005).

Dans la dernière contribution de la SADF consacrée au génocide bangladais (Uddin, 2022), le professeur Uddin cite  » les dix étapes du génocide  » telles que décrites par Gregory Stanton en 1996 (classification, symbolisation, discrimination, déshumanisation, organisation, polarisation, préparation, persécution, extermination et déni).

Les vingt-cinq dernières années nous ont appris qu’il fallait ajouter une toute nouvelle étape à ce processus : le renversement. En effet, le stade du déni s’est transformé en une catégorie plus complexe, la désinformation.

La désinformation ne consiste pas tant à mentir (ou, à tout le moins, à mentir carrément). Il s’agit plutôt de créer des doutes, de grossir des points secondaires déformés et de nier sur cette base tout un récit, de déformer un contexte et – peut-être la technique la plus moderne – de désinformer au nom de la  » lutte contre la désinformation  » (SADF, 2021).

Cette dernière stratégie de désinformation est elle-même un renversement : elle est également utilisée sur les récits relatifs aux génocides. Comme je l’avais prédit à l’époque :  » Aucun degré d’apaisement, à part une reddition complète à un Bangladesh talibanisé, ne ferait l’affaire  » (Casaca, 2013a). Cette prédiction s’est rapprochée de manière plus inquiétante de la réalité après la re-talibanisation de l’Afghanistan (Casaca, 2021b).

Six mois après la prise de Kaboul par les talibans – selon les mots désormais célèbres du Premier ministre pakistanais à cette occasion, la date à laquelle les Afghans ont brisé les « chaînes de l’esclavage » (SADF, 2022) – nous assistons à l’inaction de la communauté internationale concernant le rôle du Pakistan dans ce crime majeur (contre les droits de l’homme en général et les droits des femmes en particulier). La loi opportune « Afghanistan Counterterrorism, Oversight, and Accountability Act of 2021 » introduite par un groupe de représentants américains a été ignorée et même annulée par l’administration Biden.

En fait, en contraste total avec cette inaction, nous avons vu l’administration Biden distinguer le Pakistan comme une démocratie et le Bangladesh comme une non-démocratie, associant ce cachet à une série de sanctions (Département du Trésor américain, 2021).

Les violations des droits de l’homme ne peuvent être acceptées nulle part dans le monde et, bien entendu, aucune exception ne doit être faite. Quoi qu’il en soit, la véritable question est de savoir si les excès prétendument commis par les forces de sécurité du Bangladesh peuvent être comparés à la catastrophe en matière de droits de l’homme qu’est la re-talibanisation de l’Afghanistan.

Cette apologie de la re-talibanisation de l’Afghanistan, le blanchiment des responsabilités du Pakistan dans ce désastre et la guerre diplomatique simultanée contre le Bangladesh peuvent-ils être interprétés autrement que comme une apologie de l’attaque islamique et fanatique contre le plus grand pays musulman laïque du monde ?

Pouvons-nous oublier que tout cela est simultané à l’éloge de la faction radicale du wahabisme (l’émirat du Qatar) et à la guerre contre le premier dirigeant saoudien qui a eu le courage de dissocier son pays du wahabisme ?

Pouvons-nous minimiser le fait que l’administration Biden se soit rangée du côté de l’agression iranienne contre le monde arabe en visant un accord nucléaire tout en blanchissant les organisations terroristes iraniennes comme Ansar Allah ?

Pouvons-nous pardonner à cette administration, au lieu de s’excuser pour sa coopération passée avec les auteurs du génocide – si courageusement dénoncée par des diplomates américains comme Archer Blood – de se ranger une fois de plus du côté de ces mêmes auteurs de génocide, dans une stratégie visant à la talibanisation du Bangladesh ?

Non, nous ne le pouvons pas. Tant en raison du respect que nous devons aux victimes du génocide bangladais qu’au nom de la liberté, de la démocratie et des droits de l’homme partout dans le monde – à commencer par les États-Unis eux-mêmes.

Dans ces circonstances, rien ne servirait moins les intérêts des véritables défenseurs des droits de l’homme que de fermer les yeux sur les horribles crimes contre l’humanité perpétrés par les forces d’invasion russes en Ukraine au nom d’une quelconque géopolitique simpliste et bichromatique. La résistance héroïque menée par le président Zelensky se fait en dépit des apaisements occidentaux, et non au nom d’une menace imaginaire de l’OTAN pour la Russie.

Les Ukrainiens qui résistent héroïquement à l’assaut impérial sur leur pays, les Mozambicains qui résistent au Jihad développé dans leur pays pour abattre la concurrence potentielle du gaz (Casaca, 2021a), et les Bangladais qui se battent pour leur identité, leur honneur et leur vie méritent tous le même respect.

Alors que ces lignes sont écrites peu avant la célébration, le 25 mars, de la Journée de commémoration du génocide au Bangladesh (Foreign Service Academy Bangladesh, 2022), les défenseurs des droits de l’homme devraient espérer des excuses de la part de ceux qui sont engagés dans l’inversion de l’information sur le génocide.

La lecture du site web de Human Rights Watch à l’occasion de la Journée de commémoration du génocide de 2021 (Human Rights Watch, 2021) nous donne peu d’espoir que cela se produise. Au lieu d’excuses ou d’un changement d’attitude, nous pouvons constater la poursuite de la même politique d’inversion du rôle des victimes et des agresseurs.

Prenant pour prétexte le drame des victimes d’un incendie dans un camp de réfugiés rohingyas à Kutupalong, le texte – daté exactement du 25 mars 2021, alors que l’incendie s’est produit quelques jours auparavant – est mal construit pour effacer le fait que le Bangladesh a offert un refuge à plus d’un million de victimes du génocide. En fait, le Bangladesh a été contraint de mettre des barrières dans le camp en raison des actions des extrémistes islamiques. Le texte de Human Rights Watch a eu pour effet, une fois de plus, d’inverser le rôle des auteurs et des victimes du génocide, dans le cas des Rohingyas, en blâmant également le Bangladesh, le seul pays qui a aidé les victimes de ce génocide moderne.

C’est pourquoi il est si important, le 25 mars 2022, pour tous les véritables défenseurs des droits de l’homme, de se réunir avec les Bangladais et de dire avec eux : souvenez-vous du génocide et exigez des responsabilités de la part des auteurs !


References

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