Mar 15, 2021 | Willy Fautré| Freedom of Religion and Belief | HRWF
Dans son dernier rapport intitulé “Lutte contre les dérives sectaires”, la MIVILUDES (Mission interministérielle de vigilance et de lutte contre les dérives sectaires) reconnaît qu’en 2020, seulement 25% des “dérives sectaires” étaient de nature religieuse, d’après sa propre définition de ce concept fait maison qui n’a pas d’équivalent légal dans le monde. Les 75% restants concernent d’autres secteurs de la société.
Analyse de quelques statistiques
“Dérives sectaires: Statistiques de la MIVILUDES concernant les signalements de “dérives sectaires” n’ayant aucun rapport avec la religion:
- Santé et bien-être: 40%
- Jeunesse: 23%
- Enjeux de sécurité immédiate: 20%
- Affaires économiques, travail, emploi ou formation professionnelle: 17%
A ce propos, il est intéressant de souligner les points suivants: le rapport fait état de 3008 signalements de “dérives sectaires”, dont 686 considérés comme sérieux (presque 30%) mais 16 seulement (0,5%) ont été adressés aux autorités judiciaires. L’obligation de saisir le parquet s’impose en vertu de l’Article 40 du code de procédure pénale quand un agent public a connaissance d’une infraction.
En d’autres termes, la MIVILUDES elle-même a reconnu qu’il n’y avait eu aucune infraction dans 99,5% des cas. Le rapport ne mentionne pas si les 16 cas adressés aux procureurs ont vraiment fait l’objet de poursuites et si certains ont abouti à une condamnation. Ce genre d’information est important et se doit d’être porté à la connaissance du public.
Mineurs d’âge à risques: Concernant des mineurs d’âge exposés à de prétendues “dérives sectaires”, le rapport de la MIVILUDES signale 500 saisines. Toutefois, le nombre de 90 000 mineurs à risques – un terme non défini – a été publié par Marlène Schiappa, ministre déléguée auprès du ministre de l’Intérieur en charge notamment des “sectes”, dans un communiqué de presse daté du 24 février 2021. Ce chiffre fait probablement écho au rapport de la commission d’enquête de l’assemblée nationale (2006), qui avançait alors le chiffre de 100 000, mais la MIVILUDES dit dans son rapport qu’elle ne peut le confirmer. Un autre chiffre très différent a également circulé dans des documents du sénat. En fait, toutes ces statistiques ne sont basées sur aucune étude scientifique.
Changement de paradigme: Espoir pour l’avenir ?
Pendant plus de deux décennies, des experts en matière d’études religieuses et des défenseurs des droits humains ont fortement critiqué la politique de “chasse aux sectes” pratiquée par la France pour enfreindre les normes internationales relatives à la liberté de religion ou de conviction. La MIVILUDES a maintenant décidé de prendre en compte les standards et les rapports de l’ONU et de l’OSCE ainsi que la jurisprudence de la Cour européenne. Elle a opté pour une nouvelle politique: remplacer “la lutte contre les sectes” par “la lutte contre les dérives sectaires”.
Ce changement de paradigme conduira-t-il à une politique différente et de bonnes pratiques?
Le Dr Massimo Introvigne, ancien “Représentant de l’OSCE dans la lutte contre le racisme, la xénophobie et la discrimination, en particulier la discrimination à l’égard des chrétiens et des membres d’autres religions”, a minutieusement examiné le rapport de la MIVILUDES dans un article intitulé “Anti-cultism in France: Old/ New Risks for Religious Liberty?” (Anti-cultisme en France: anciens et nouveaux risques pour la liberté religieuse?) publié dans Bitter Winter le 13 mars 2021. Entre autres choses, il souligne:
“Le rapport admet que la première approche de la France conduisant à la publication en 1996 d’une liste de ‘sectes’, très rapidement controversée, était une erreur. (…)
La reconnaissance de cette erreur, explique le rapport, a conduit à l’abandon de la notion de ‘secte’ au profit de la notion de ‘dérives sectaires’, un nouveau concept ‘étranger aux domaines de la religion, la sociologie et le droit’, une création ad hoc par le gouvernement français. (…)
À son crédit, la MIVILUDES répudie désormais la stratégie des années 1990 qui a conduit à la publication de listes de ‘sectes’ et causé des années de souffrance à des membres de groupes ainsi nommés et stigmatisés. Mais aussi longtemps que l’accusation de ‘dérives sectaires’ sera appliquée à des cas où, comme la MIVILUDES l’admet elle-même, il n’y a pas d’infraction dans 99% des incidents étudiés, une attitude de suspicion générale à l’encontre de tous les groupes perçus comme ‘différents’ ou ‘alternatifs’ se perpétuera. Et cela est un problème pour la liberté religieuse et la démocratie.”
En outre, le changement de paradigme n’aura aucune influence sur la compréhension de la thématique dans l’opinion publique puisque le mot secte a toujours été exclusivement associé à des groupes religieux ou spirituels avec une connotation négative. Ce sentiment restera inchangé avec le mot sectaire accolé à un autre terme négatif, dérive. Pour le consommateur de médias, toute info relative aux “dérives sectaires” sera comprise comme uniquement liée à une secte religieuse, et pas autrement.
En conclusion, les activités criminelles, quelles qu’elles soient, doivent être détectées en temps utile et poursuivies, mais la transparence à propos de l’utilisation de l’argent des contribuables est également une nécessité si l’on veut qu’il soit employé efficacement.
Le budget official de la MIVILUDES de l’année dernière s’élevait à environ 500,000 EUR, mais des chercheurs ont été incapables de vérifier les détails de son utilisation. Il leur a été répondu qu’il était inclus dans le budget du premier ministre auquel la MIVILUDES était alors rattachée. Davantage de transparence doit également être introduit à cet égard.
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