15 décembre 2021 | Paris | Human Rights Watch

Le président Emmanuel Macron devrait s’engager à défendre les garanties démocratiques et à inverser les politiques migratoires inhumaines dans l’Union européenne, a déclaré Human Rights Watch dans une lettre adressée au président français Macron et rendue publique aujourd’hui.

La France prendra la présidence tournante du Conseil de l’Union européenne de janvier à juin 2022. Le 9 décembre 2021, le président Macron devrait tenir une conférence de presse pour présenter les priorités de la France pendant sa présidence de l’UE.

« La présidence française de l’UE intervient à un moment critique, alors que plusieurs gouvernements de l’UE rejettent délibérément les valeurs démocratiques sur lesquelles l’UE a été fondée », a déclaré Bénédicte Jeannerod, directrice pour Paris à Human Rights Watch. « La présidence française de l’UE sera suivie de près pour s’assurer que la France agit efficacement pour une Europe respectueuse des droits et fermement ancrée dans le respect de l’État de droit. »

Au cours des derniers mois, le gouvernement français n’était pas certain de la place qu’occuperait la défense de l’État de droit et des institutions démocratiques au sein de l’UE pendant la présidence française.

En septembre, le secrétaire d’État aux affaires européennes, Clément Beaune, a déclaré que la protection des valeurs fondatrices de l’UE et de l’État de droit était « existentielle » et que l’UE devait « renforcer ses outils juridiques et politiques » en relation avec le nouvel outil européen conditionnant l’accès aux fonds européens au respect de l’État de droit. En octobre, le président Macron a déclaré que « la remise en cause de l’État de droit remet en cause les fondements mêmes du projet européen. » Lui aussi a qualifié la défense des règles et des valeurs de l’UE d’« existentielle ». »

Mais en novembre, le ministre des affaires étrangères Jean-Yves Le Drian est resté silencieux sur les projets de la France en matière d’État de droit lorsqu’il a présenté les priorités de la présidence de l’UE à une commission du Sénat. En décembre 2020, l’UE a adopté un mécanisme de conditionnalité pour protéger le budget de l’UE des violations de l’État de droit par un État membre de l’UE. Si la Commission n’a pas utilisé ce mécanisme qui pourrait conduire à la rétention de fonds, elle a évoqué cette possibilité dans des lettres adressées en novembre aux gouvernements polonais et hongrois. Il est probable que des mesures formelles concernant son utilisation pourraient avoir lieu pendant la présidence française du Conseil de l’UE.

En décembre 2020, l’UE a adopté un mécanisme de conditionnalité visant à protéger le budget de l’UE contre les violations de l’État de droit par un État membre de l’UE. Bien que la Commission n’ait pas utilisé ce mécanisme qui pourrait conduire à la rétention de fonds, elle a évoqué cette possibilité dans des lettres adressées en novembre aux gouvernements polonais et hongrois. Il est probable que des démarches officielles concernant son utilisation pourraient avoir lieu pendant la présidence française du Conseil de l’UE.

Les États membres de l’UE ont déclenché les procédures de l’article 7 — le mécanisme du traité de l’UE traitant des pays qui violent les valeurs de l’UE — en 2017 pour la Pologne et en 2018 pour la Hongrie, mais n’ont pris aucune autre mesure pour demander des comptes à ces deux gouvernements.

En Pologne, le gouvernement a sapé l’indépendance de la justice, bafoué les décisions de la Cour de justice de l’UE et utilisé un tribunal constitutionnel compromis politiquement pour éroder les droits des femmes et la nature contraignante du droit européen. Les attaques et le harcèlement à l’encontre des lesbiennes, gays, bisexuels et transgenres (LGBT) et des militants des droits des femmes se sont multipliés.

En Hongrie, la plupart des médias sont désormais contrôlés par le gouvernement ou ses partisans, tandis que les autorités ne cessent de harceler les médias indépendants restants. Les groupes de la société civile sont confrontés à des législations restrictives et à des calomnies de la part des représentants du gouvernement et de leurs partisans. En juin, le Parlement a adopté une loi interdisant toute discussion sur l’identité de genre et l’orientation sexuelle, ce qui expose les prestataires de soins de santé, les éducateurs, les artistes et les radiodiffuseurs à des sanctions tout en restreignant les droits des LGBT.

Le président Macron devrait s’engager à prendre les mesures disponibles au titre de l’article 7 en réponse à l’aggravation continue de la situation en Hongrie et en Pologne. Ces mesures devraient inclure l’adoption de recommandations en matière d’État de droit et la mise en place d’un vote pour déterminer si les valeurs de l’UE sont en danger dans ces deux pays. La présidence française de l’UE devrait également s’assurer qu’elle utilise pleinement le mécanisme conditionnant l’accès aux financements au respect de l’État de droit durant sa présidence.

La situation humanitaire et des droits de l’homme dramatique à la frontière entre la Pologne et la Biélorussie nous rappelle brutalement que les pays de l’UE sont prêts à violer les droits de l’homme des migrants à ses frontières extérieures, et les institutions européennes à laisser ces abus se produire. À plusieurs reprises, les institutions européennes n’ont pas réagi aux refoulements illégaux, parfois accompagnés de violences, de migrants et de demandeurs d’asile dans d’autres pays, notamment en Croatie, en Grèce, en Espagne et en Hongrie. Les pays de l’UE ont été lents à soutenir une proposition du Pacte sur les migrations et l’asile de la Commission européenne visant à établir des mécanismes indépendants de surveillance des frontières par les États membres pour enquêter sur les allégations de violations des droits fondamentaux aux frontières.

Si le gouvernement français souhaite réellement promouvoir le respect des valeurs de l’UE dans les politiques migratoires du bloc, il devrait s’engager, pendant sa présidence de l’UE, à mettre fin à la pratique des refoulements illégaux aux frontières de l’UE, à défendre le droit de demander l’asile, à fournir des protections contre les expulsions collectives et à créer un système permettant d’enquêter sur les allégations sérieuses d’abus. La France devrait également soutenir un système permanent de relocalisation ou de partage des responsabilités afin d’alléger la pression sur les premiers pays d’arrivée, et faire pression pour le recours à la relocalisation temporaire d’urgence en cas de crise pendant sa présidence de l’UE.

Les pertes choquantes de vies humaines aux frontières de l’UE, y compris dans la Manche entre la France et le Royaume-Uni, font qu’il est primordial que la France utilise sa présidence de l’UE pour promouvoir des politiques visant à sauver des vies et à prévenir les décès de migrants, a déclaré Human Rights Watch. Ces mesures devraient inclure des opérations de recherche et de sauvetage robustes, dirigées par l’État et actives là où elles sont nécessaires, le soutien aux efforts de sauvetage non gouvernementaux, et le conditionnement du soutien aux garde-côtes et à la marine libyenne à des mesures concrètes et vérifiables pour mettre fin aux abus généralisés contre les migrants et les demandeurs d’asile en Libye.

Comme la France doit montrer l’exemple à l’UE, elle doit également prendre des mesures urgentes pour mettre fin aux abus commis par ses propres autorités à l’encontre des migrants à Calais et ailleurs dans le nord de la France. Défendre les droits fondamentaux pendant la présidence française de l’UE est d’autant plus important que certains politiciens remettent en question les valeurs fondatrices de l’UE à l’approche des élections générales françaises de 2022.

« Il faudra plus que des mots pour arrêter l’érosion des garanties démocratiques et de l’État de droit dans l’UE », a déclaré M. Jeannerod. « La France doit mener des actions audacieuses. Le président Macron devrait donner une orientation claire à la présidence française de l’UE et s’engager à utiliser pleinement les pouvoirs de contrôle de l’article 7 et à conditionner l’argent de l’UE au respect des valeurs de l’UE. »