May 27, 2021 | Massimo Introvigne | Freedom of Religion and Belief | HRWF

Compte tenu de la façon dont la mission gouvernementale française contre les “déviances sectaires” est régulièrement dénoncée par les principales ONG spécialisées dans la liberté religieuse et par les gouvernements, y compris celui des États-Unis, qui publient des rapports sur la liberté internationale de religion ou de conviction, l’affirmation de son ancien président et membre de son nouveau Conseil d’orientation, Georges Fenech, dans une interview du 20 mai, selon laquelle “le monde entier nous envie [la France] pour les MIVILUDES” peut apparaître comme un exercice d’humour noir typiquement français.

La MIVILUDES, Mission interministérielle de vigilance et de lutte contre les déviances sectaires, créée en 2002, succède à l’Observatoire interministériel des sectes (sectes, 1996-98) et à la MILS, Mission interministérielle de lutte contre les sectes (sectes, 1998-2002). Le mot français “secte” a la même fonction péjorative que le mot anglais “cult”, et est traduit par la plupart des spécialistes par “culte” plutôt que “secte”. Il a récemment été remanié et refinancé grâce aux efforts de Marlène Schiappa, une femme politique qui a décidé de prendre le train en marche contre les sectes pour ses propres raisons. Depuis juillet 2020, Schiappa occupe le poste de ministre déléguée chargée de la citoyenneté, rattachée au ministre de l’intérieur, c’est-à-dire le poste qui s’occupe notamment des “sectes.”

Comme l’a récemment écrit l’universitaire américain Stuart Wright, la France a une “extraordinaire politique gouvernementale d’intolérance religieuse” contre les nouveaux mouvements religieux : “Dire que cette approche est unique dans la politique internationale serait un euphémisme”. Fenech lui-même, dans la même interview, a qualifié les MIVILUDES “d’exception française”.

Pourtant, depuis 25 ans, la MIVILUDE et ses prédécesseurs ont tenté d’exporter le modèle français de “lutte contre les sectes” dans d’autres pays – généralement sans grand succès, mais il y a des exceptions.

La MIVILUDES elle-même explique sur son site internet que cela fait partie de sa mission d’informer les autres pays, par le biais d’une coopération avec le ministère français des Affaires étrangères, de “ses activités de surveillance et de lutte contre les déviances sectaires”. Mais elle fait plus. Elle estime qu’elle doit “promouvoir au niveau européen [et au-delà] une attitude de lutte contre les déviances sectaires”. Les rapports annuels de la MIVILUDES détaillent comment les agents de la MIVILUDES voyagent chaque année dans différents pays, participent à des réunions internationales, assistent et soutiennent des conférences anti-sectes pour promouvoir le “modèle français”, diffusent des informations (négatives) sur les groupes ciblés comme “sectes” en France, et réagissent aux critiques de la politique anti-sectes française par des universitaires, des ONG et des gouvernements.

Quel résultat ont obtenu ces efforts massifs ? La MIVILUDES ne fait que rarement état de ses contacts avec la Russie et la Chine, deux pays où la répression des minorités religieuses qualifiées de “sectes”, dont les Témoins de Jéhovah en Russie et des dizaines de groupes en Chine, se traduit par des détentions arbitraires, des tortures, voire des exécutions extrajudiciaires. Une coopération existe, et les principaux sites Internet anti-sectes russes et chinois font régulièrement la publicité des activités de la MIVILUDES et traduisent certaines de ses déclarations, notamment contre les Témoins de Jéhovah. Cependant, la dure répression des minorités religieuses en Chine et en Russie n’est pas le résultat des efforts français. Elle existait avant la MIVILUDES et est le produit d’une lutte contre le pluralisme religieux inhérente à la nature des régimes locaux. Pourtant, tout soutien par des pays démocratiques à des pratiques de persécution et de répression en Russie et en Chine ne peut être qualifié que de honteux.

Il y a certainement eu une agitation considérable pour exporter la MIVILUDES en Australie, notamment par le biais de l’ancien sénateur anti-sectes Nick Xenophon. Il a appelé à la création d’une MIVILUDES australienne pour “surveiller et contrôler les activités des sectes en Australie”. Xenophon a également contribué à organiser la rencontre de Fenech, alors qu’il était président de la MIVILUDES, avec un procureur australien de haut rang à Canberra. Cependant, les efforts de Xenophon ont échoué. Il a finalement quitté la politique et a décidé de travailler pour défendre la société chinoise Huawei contre les accusations selon lesquelles elle pourrait représenter un risque pour la sécurité en Australie en raison de ses liens avec le Parti communiste chinois.

La MIVILUDES indique que la France “se singularise avec la Belgique et, dans une moindre mesure, l’Allemagne et l’Autriche, en ayant adopté un système à la fois juridique et administratif de surveillance et de lutte contre les déviances sectaires.” En Allemagne et en Autriche, les campagnes contre les “sectes” ont été rejointes par les institutions gouvernementales, mais leur origine se trouve dans le travail des commissaires anti-sectes (Sektenbeauftragten) nommés par les églises protestantes et catholiques. Là encore, ils existaient avant les MIVILUDES, et la logique est différente de celle de la France, où les campagnes anti-sectes visent à protéger la notion française particulière de laïcité plutôt que la position dominante des églises majoritaires. Cela n’empêche pas la MIVILUDES de fournir des informations désobligeantes sur les religions minoritaires aux institutions allemandes et autrichiennes.

La Belgique, en particulier dans sa partie francophone, a des liens anciens et profonds avec la France, et a créé en 1998 le CIAOSN, Centre d’information et de conseil sur les organisations sectaires nuisibles. Il est similaire à la MIVILUDES et à ses prédécesseurs, bien qu’avec moins de pouvoirs. Le CIAOSN n’intervient pas directement dans la “lutte” contre les “sectes”, mais transmet ses avis et recommandations aux autres branches du gouvernement.

Il ne fait guère de doute que le CIAOSN est profondément influencé par la MIVILUDES, et Fenech lui-même s’est vanté de l’influence de l’institution française en Belgique. Un exemple concret est le rapport de 2018 publié par le CIAOSN sur la réaction des Témoins de Jéhovah face aux cas d’abus sexuels parmi leurs membres. Outre ses erreurs factuelles sur la question spécifique des abus sexuels, le rapport s’ouvrait sur une critique générale des Témoins de Jéhovah clairement inspirée de la propagande de la MIVILUDES.

Ce serait cependant une erreur d’évaluer le rôle international de la MIVILUDES uniquement en examinant ses contacts directs avec les institutions étrangères. En fait, la MIVILUDES exerce une plus grande influence à travers sa relation symbiotique avec la FECRIS, la Fédération européenne des centres de recherche et d’information sur les sectes et les cultes, qui est une organisation faîtière pour les mouvements anti-sectes en Europe et au-delà. Sur le site de la MIVILUDES, la FECRIS est l’une de ses deux “associations-partenaires”. L’autre est l’association australienne Cult Information and Family Support (CISF), qui a des liens avec l’ex-sénateur Xenophon. Le CISF, discutant des critiques de Xenophon à l’égard des Témoins de Jéhovah et d’autres, a un jour fait un rapport approbateur sur une définition des Témoins de Jéhovah comme “une religion cruelle sans âme”.

Dans son rapport annuel 2008, qui porte notamment sur ses activités internationales, la MIVILUDES détaille sa coopération étroite et continue avec la FECRIS et ses affiliés dans différents pays européens, tout en reprochant au CESNUR (l’organisation mère de Bitter Winter), au britannique INFORM et aux centres coopérant avec eux dans d’autres pays d’utiliser l’expression “nouveaux mouvements religieux” plutôt que “sectes” et de les étudier plutôt que de les “combattre”.

Dans d’innombrables manifestations, la MIVILUDES et la FECRIS se sont présentées comme des partenaires, avec une division du travail où la MIVILUDES aide la FECRIS à recevoir l’argent des contribuables français, et diffuse au niveau national et international des documents désobligeants sur les “sectes” préparés par la FECRIS. Cette année, la MIVILUDES a annoncé qu’elle allait financer des projets contre les “sectes” avec la somme sans précédent d’un million d’euros. Il est facile de prédire que la majeure partie de cet argent ira à des organisations affiliées à la FECRIS.

La FECRIS a été identifiée par la Commission américaine sur la liberté religieuse internationale (USCIRF) comme une menace internationale majeure pour la liberté religieuse. Elle a récemment été reconnue coupable de diffusion d’informations fausses et diffamatoires sur les Témoins de Jéhovah par le tribunal de district de Hambourg en Allemagne. Cela aurait dû sembler familier à la MIVILUDES et à Fenech, puisqu’ils ont été impliqués dans plusieurs affaires similaires en France. En 2019, Fenech avait été reconnu coupable par le tribunal de justice de Caen, dans une affaire civile, d’avoir porté atteinte à la présomption d’innocence de l’Église de Scientologie dans une interview où il tenait pour acquis que l’Église était coupable de méfaits pour lesquels elle était mise en examen, mais que personne n’avait été incriminé.

A Caen, les juges ont dit que Fenech s’exprimait “en tant qu’ancien président de la MIVILUDES”, essayant de donner l’impression à son auditoire que, puisqu’il avait représenté le gouvernement dans ce domaine, ce qu’il disait était vraisemblablement vrai – ce qui n’était pas le cas.

La même dynamique est à l’œuvre dans les activités internationales de la MIVILUDES qui exporte ses calomnies contre les Témoins de Jéhovah et d’autres organisations. Elle tente de susciter l’impression que puisqu’une agence gouvernementale diffuse ces informations (provenant en grande partie de la FECRIS et de ses organisations affiliées), alors elles doivent être vraies.

En 2020, l’USCIRF a demandé au gouvernement des États-Unis de “contrer la propagande contre les nouveaux mouvements religieux par la Fédération européenne des centres de recherche et d’information sur le sectarisme (FECRIS) lors de la conférence annuelle de l’OSCE sur les dimensions humaines, en fournissant des informations sur l’implication continue des individus et des entités du mouvement anti-sectes dans la suppression de la liberté religieuse”.

Les activités des entités anti-sectes visant à supprimer la liberté religieuse vont au-delà de l’OSCE. La MIVILUDES est à la fois une agence gouvernementale et une “entité au sein du mouvement anti-sectes”, et en raison de sa relation symbiotique avec la FECRIS, elle devrait également être visée par une contre-propagande dénonçant ses activités de dénigrement des mouvements religieux et de mise en danger de la liberté religieuse.