12 août 2021 | Willy Fautré | Freedom of Religion and Belief

L’expérience malheureuse de Tai Ji Men avec l’administration fiscale à Taiwan présente des similitudes frappantes avec les cas de quatre groupes religieux qui ont été arbitrairement persécutés par l’administration fiscale en France : les Témoins de Jéhovah, l’Église évangélique de Besançon, l’Association des Chevaliers de le Lotus d’Or et l’Association Religieuse du Temple de la Pyramide. Dans tous ces cas, l’administration fiscale française a soudainement décidé d’imposer une taxe de 60 % sur tous les cadeaux manuels qu’ils recevraient.

En 1996, le gouvernement taïwanais de l’époque a lancé une campagne de répression contre les groupes qualifiés de xie jiao ou « sectes », qui, selon la plupart des chercheurs ayant étudié l’incident, étaient motivés par des considérations politiques. La répression visait également Tai Ji Men, bien qu’il n’ait jamais été impliqué dans la politique.

En janvier de la même année, un rapport parlementaire français classant les quatre groupes religieux susmentionnés comme mouvements sectaires nuisibles ( mouvements sectaires en français) a conduit à leur stigmatisation dans les médias et a entraîné diverses formes d’hostilité et de discrimination de la part des organes de l’État, notamment l’administration fiscale.

Dans les deux pays, il y avait des soupçons de fraude et d’évasion fiscale sur les cadeaux manuels. Pour Tai Ji Men et les organisations religieuses françaises incriminées, ce fut le début d’une longue course d’obstacles devant leurs juridictions nationales respectives.

Commençons par l’affaire emblématique Témoins de Jéhovah c. France.

Témoins de Jéhovah c. France (requête 8916/05)

La stigmatisation des Témoins de Jéhovah et de l’administration fiscale française

Le 10 janvier 1996, l’Assemblée nationale française a publié un rapport sur 172 sectes prétendument dangereuses ( sectes en français), qui ont presque été présentées comme des associations criminelles.

Cette « liste noire », comme elle fut bientôt appelée par les médias, a eu un impact dévastateur sur ces groupes religieux et spirituels. Les Témoins de Jéhovah figuraient sur cette liste noire. À la suite de ce rapport, ils ont été discriminés, stigmatisés et ostracisés tant dans leur vie privée que dans leur vie publique. Des mesures ont été prises par les administrations publiques pour les marginaliser et les traiter différemment des religions dominantes. L’administration fiscale a notamment procédé à un contrôle.

Sur la base des informations recueillies lors de cet audit, l’Association des Témoins de Jéhovah a été mise en demeure de déclarer tous les dons manuels qu’elle avait reçus de 1993 à 1996 et de payer des impôts. Il s’agissait d’une nouvelle interprétation inattendue du Code général des impôts qui a été soudainement appliquée au mouvement des Témoins de Jéhovah.

L’association a refusé et a demandé que l’exonération fiscale applicable aux donations et legs manuels soit appliquée comme chaque année avant 1993, car il n’y avait pas eu de modification du Code général des impôts à cet égard.

L’association des Témoins de Jéhovah n’ayant pas déposé la déclaration demandée par le fisc, elle a été soumise à une procédure d’imposition automatique sur tous les dons manuels reçus de 1993 à 1996.

L’administration fiscale a justifié sa décision en alléguant que les cadeaux manuels « [avaient été] divulgués à l’administration fiscale dans le cadre des contrôles comptables auxquels il [avait été] soumis ».

Le terme « divulgué » est un mot clé dans le langage administratif fiscal français, car il implique que la « divulgation » était une démarche volontaire de l’association afin d’être imposée sur les dons qu’elle avait reçus. Tel n’a pas été le cas, car l’audit n’a pas été demandé par l’Association des Témoins de Jéhovah, mais leur a été imposé par l’administration et ne pouvait donc être refusé. De plus, il n’y avait jamais eu d’obligation légale de divulguer les cadeaux manuels à l’administration fiscale. De toute évidence, il y a eu une manipulation claire de la terminologie administrative pour coincer l’Association des Témoins de Jéhovah et, comme il est apparu par la suite, pour les tuer financièrement. Une autre similitude avec l’affaire Tai Ji Men.

En mai 1998, l’Association a reçu notification d’un redressement fiscal pour l’équivalent d’environ  45 millions d’euros   (environ 23 millions d’euros pour le principal et 22 millions d’euros d’intérêts moratoires et majorations). L’Association des Témoins de Jéhovah a souligné que l’impôt réclamé concernait des dons manuels effectués par 250 000 particuliers sur quatre ans (soit une moyenne de 4 euros par personne et par mois pour la période 1993-1996).

Au cours des six années suivantes, l’Association des Témoins de Jéhovah a utilisé tous les recours internes qu’elle pouvait pour faire valoir ses droits, mais entre-temps, avec l’accumulation d’amendes pour non-paiement des impôts contestés, le montant réclamé par l’administration fiscale est passé de 45 millions d’euros à plus de 57,5 ​​millions d’euros.

La seule issue possible pour les Témoins de Jéhovah était alors de saisir la Cour européenne des droits de l’homme à Strasbourg.

La Cour européenne des droits de l’homme

Le 24 février 2005, l’Association des Témoins de Jéhovah a déposé une plainte contre la France auprès de la Cour européenne des droits de l’homme. Elle alléguait, entre autres, que la taxation imposée des cadeaux manuels portait atteinte à son droit de manifester et d’exercer sa liberté de religion telle que garantie par l’article 9 de la Convention européenne.

Les procédures ont duré six ans, jusqu’en 2011, et ont porté principalement sur l’interprétation controversée de la « divulgation » des cadeaux manuels et l’ingérence prétendument indue de l’État dans la liberté de religion des Témoins de Jéhovah par le biais d’une taxation punitive.

Les Témoins de Jéhovah ont affirmé qu’en imposant la taxe controversée, l’État attaquait la liberté de religion de leurs 200 000 membres. En effet, si la taxation de 60 % devait être confirmée, elle entraînerait la saisie et la vente de leur siège (Bethel), la perte de leur lieu de culte national, l’étouffement et même la survie en France.

L’avocat de l’Association, Philippe Goni, a fait valoir que la pratique collective d’une religion implique la possibilité de s’appuyer sur des ressources matérielles, généralement obtenues grâce aux contributions financières des adhérents pour louer ou acquérir un lieu de culte, entre autres. Les dons manuels sont de nature religieuse et représentent une source de revenus importante pour l’exercice collectif de leur religion par les Témoins de Jéhovah, à savoir 86,47%.

Enfin, leur avocat a accusé l’état de discrimination, car les cadeaux manuels dans les grandes religions étaient exonérés de toute taxation.

Décision de la Cour européenne

Dans son arrêt du 30 juin 2011, la Cour européenne a constaté une violation de l’article 9 (droit à la liberté de religion), notant que l’imposition complémentaire « avait concerné l’intégralité des dons manuels reçus par l’association, alors qu’ils représentaient le principal source de son financement. Ses moyens de fonctionnement ayant ainsi été amputés, il n’avait plus été en mesure de garantir concrètement à ses fidèles le libre exercice de leur religion.

Par un arrêt du 5 juillet 2011, la Cour a dit que la France devait rembourser les 4 590 295 euros (EUR) d’impôts indûment réclamés par l’administration fiscale que l’Association des Témoins de Jéhovah avait payés sous la contrainte et 55 000 EUR pour frais et dépens.

On ne peut pas dire que ce fut une fin heureuse, au sens habituel, de cette saga longue de 15 ans, car les dommages causés à l’association et à ses membres allaient bien au-delà de la question financière mais c’est une autre histoire.

Les batailles juridiques de Tai Ji Men durent depuis 25 ans et aucune fin n’est en vue. Malheureusement pour Tai Ji Men, il n’y a pas de Cour asiatique des droits de l’homme où ils pourraient déposer une plainte, mais il faut espérer qu’un jour le gouvernement actuel de Taiwan sera en mesure de réparer les dommages causés sous le gouvernement précédent depuis le milieu des années 1990. .