9 septembre 2022 | Andreas Harsono | HRW

La loi toxique indonésienne sur le blasphème a fait une nouvelle victime, cette fois un ancien ministre du gouvernement, à cause d’un message sur les médias sociaux jugé insultant pour les bouddhistes.

La dernière affaire en date a débuté en juin après que le gouvernement indonésien a annoncé qu’il augmenterait fortement le prix d’entrée au temple de Borobudur, dans le centre de Java. La structure bouddhiste est l’une des principales attractions touristiques d’Indonésie, attirant plus de quatre millions de visiteurs en 2019. Les défenseurs de la nature et les responsables gouvernementaux sont de plus en plus inquiets du nombre de visiteurs et voient dans l’augmentation du droit d’entrée un moyen de limiter le total.

Le 10 juin, Roy Suryo, ancien ministre de la jeunesse et des sports, a tweeté la photo d’un stupa de Borobudur dont l’image avait été photoshopée pour ressembler au président Joko Widodo. Il a reçu des protestations, notamment de la part d’organisations bouddhistes, et a rapidement supprimé son tweet, s’excusant et affirmant qu’il n’avait pas créé la photo modifiée.

Kevin Wu, un dirigeant de Dharmapala Nusantara, un groupe bouddhiste de Jakarta, a dénoncé Suryo à la police pour avoir commis un blasphème contre le bouddhisme. La police de Jakarta a interrogé Suryo à trois reprises, puis l’a accusé d’avoir violé la loi sur le blasphème et la loi sur l’Internet. La police l’a arrêté le 5 août. S’il est reconnu coupable, Suryo risque jusqu’à 11 ans de prison.

La loi sur le blasphème punit d’une peine pouvant aller jusqu’à cinq ans d’emprisonnement toute déviation des principes fondamentaux des six religions officiellement reconnues en Indonésie (islam, protestantisme, catholicisme, hindouisme, bouddhisme et confucianisme). Elle n’a été utilisée que dans huit cas au cours des quatre premières décennies suivant la signature de la loi par le président Soekarno en 1965, mais les condamnations ont connu un pic pendant la décennie où le président Susilo Bambang Yudhoyono, le patron de Roy Suryo, était au pouvoir, de 2004 à 2014. L’administration du président Widodo est en train de rédiger un nouveau code pénal prévoyant le maintien de la loi sur le blasphème, mais avec la réserve inquiétante d’étendre la loi aux croyances et aux religions.

Ironiquement, Roy Suryo a également utilisé la loi sur le blasphème contre ses opposants politiques. En février 2022, il a déposé un rapport de police contre le ministre des Affaires religieuses Yaqut Cholil Qoumas pour blasphème, affirmant que la comparaison faite par Yaqut entre les mosquées bruyantes et les chiens qui aboient était une insulte à l’islam.

L’arrestation de Roy Suryo montre une fois de plus que la loi sur le blasphème est destructrice et sujette à des abus, car elle permet de faire de la « protection » de la religion un outil politique. L’administration Widodo devrait tirer les leçons de ces cas déplorables et abroger les dispositions de la loi sur le blasphème.