8 décembre 2022 | Massimo Introvigne | Bitter Winter

Une nouvelle déclaration a été soumise au Comité des droits de l’homme pour dénoncer les violations des droits humains après l’assassinat de Shinzo Abe.

Les violations de la liberté de religion ou de croyance des membres de l’Église de l’Unification/Fédération des Familles se poursuivent sans relâche au Japon après l’assassinat de l’ancien Premier ministre Shinzo Abe, et la communauté internationale des droits de l’homme ne reste pas sans réaction.

Après une soumission initiale et une première déclaration complémentaire, une deuxième déclaration complémentaire a été déposée auprès du Comité des droits de l’homme des Nations unies, le 4 novembre, par la Coordination des Associations et des Particuliers pour la Liberté de Conscience (CAP-LC), une organisation non gouvernementale dotée du statut consultatif spécial auprès de l’ECOSOC (Conseil économique et social) des Nations Unies. La déclaration apporte de nouvelles preuves que ce qui se passe au Japon viole les engagements pris par ce pays lorsqu’il a ratifié le Pacte international relatif aux droits civils et politiques (PIDCP), ainsi que son Protocole facultatif reconnaissant l’autorité du Comité des droits de l’homme dans l’évaluation de ses violations.

La déclaration, qui s’appuie notamment sur des recherches publiées par Bitter Winter, indique qu’Abe a été assassiné le 8 juillet par un homme, Tetsuya Yamagami, qui a affirmé vouloir punir ce dernier pour sa participation aux événements d’une organisation liée à l’Église de l’Unification (aujourd’hui appelée Fédération des familles pour la paix mondiale). Yamagami a déclaré qu’il était motivé par le fait qu’en 2002 sa mère avait fait faillite après avoir fait des dons excessifs à l’Église. Il avait également prévu d’assassiner la dirigeante de la Fédération des familles, Dr Hak Ja Han Moon.

A l’instar d’Abe, l’Église de l’Unification était une cible et une victime du crime. Toutefois, note CAP-LC, le lobby anti-sectes, qui a fait campagne pendant des décennies contre l’Église au Japon, a réussi à inverser le récit et à persuader plusieurs médias et politiciens que, loin d’être une victime, l’Église de l’Unification était en quelque sorte responsable de l’assassinat d’Abe.

La deuxième déclaration complémentaire de CAP-LC utilise ce qu’on appelle le « modèle de Rome » proposé par l’OSCE (Organisation pour la sécurité et la coopération en Europe), lors de sa conférence du 12 septembre 2011 à Rome, sur l’intolérance et la discrimination à l’égard des chrétiens. Ce modèle a été adopté par plusieurs universitaires et ONG les années suivantes.

« Il s’agit d’un modèle en trois étapes, explique CAP-LC, qui prédit un glissement de l’intolérance vers la discrimination, puis de la discrimination vers la persécution. L’attaque contre une minorité impopulaire commence par l’intolérance. Un groupe est ridiculisé par des stéréotypes et dépeint comme maléfique et nuisible, faisant obstacle au bonheur et à l’harmonie sociale. Très souvent, l’intolérance est propagée par des lobbies qui manipulent les médias. Dans le modèle de Rome, la discrimination, en recourant à un processus légal, suit rapidement l’intolérance. Il y a une logique perverse dans cette progression. Si un groupe ou une organisation menace la société et l’ordre public, la société doit prendre des mesures légales et administratives à son encontre. Les mêmes lobbies sont prêts à introduire de nouvelles lois et à réclamer des mesures administratives et judiciaires. La troisième étape de la spirale de l’intolérance mène de la discrimination à la persécution. Si la discrimination ne parvient pas à supprimer une minorité considérée comme socialement indésirable, il n’est pas surprenant qu’excités par des discours de haine, certains prennent la loi en main et utilisent la violence physique contre cette minorité. »

En reconnaissant que, de toute évidence, « on ne peut comparer un gouvernement démocratique comme celui du Japon à des régimes totalitaires », CAP-LC donne comme exemple de la « spirale d’intolérance », selon le modèle de Rome, la situation des Juifs dans l’Allemagne nazie. Ils « ont été attaqués par le biais de livres et de caricatures (intolérance), puis ont fait l’objet d’une discrimination par la loi (discrimination) ; et finalement, il y a eu Auschwitz (persécution) ».

On peut objecter, observe CAP-LC, « que, contrairement à la discrimination, l’intolérance n’implique pas de violations du Pacte international relatif aux droits civils et politiques. Alors que les États pratiquent la discrimination, ce sont les citoyens privés, les lobbies et les médias qui propagent l’intolérance. Mais il existe des cas dans lesquels les organes de l’État encouragent l’intolérance, violant ainsi les dispositions de l’article 17 du Pacte sur le droit à l’honneur et à la réputation, ainsi que l’article 18.1 sur la liberté de religion ou de conviction, et l’article 26 sur le principe de non-discrimination ».

Ces violations incluent le fait que l’avocat Masaki Kito, l’un des opposants à l’Église de l’Unification les plus militants, a été nommé par le gouvernement dans le comité du ministère de la Protection des consommateurs chargé d’enquêter sur l’Église. En outre, CAP-LC note que le Premier ministre Fumio Kishida lui-même a annoncé qu’il rencontrerait une ancienne membre « apostate » de l’Église, devenue l’une de ses principales calomniatrices, légitimant ainsi les campagnes de désinformation de cette dernière.

En fait, note CAP- LC, le problème est plus grave. Les récits propagés par les opposants anti-sectes et les ex-membres apostats sont acceptés et diffusés par les autorités sans qu’on permette à l’Église de l’Unification de se défendre, ce qui constitue également une violation de l’article 14 du Pacte relatif à la procédure équitable.

Selon CAP-LC, « de telles disparités entre les récits des ex-membres hostiles envers l’Église de l’Unification (ou envers d’autres nouvelles religions) et la réalité révélée ultérieurement par une enquête plus approfondie et une analyse objective sont relativement courantes dans la littérature concernant la sociologie des religions. Comme le montrent clairement (entre autres) les travaux de David Bromley et de feu Anson Shupe aux États-Unis, ceux qui quittent l’Église de l’Unification sont souvent fortement influencés par les efforts coercitifs conjugués de leurs proches, de leurs amis, des médias et des   “antisectaires”, y compris de ceux qu’on appelle les “déprogrammeurs” et qui utilisent les techniques coercitives de détention forcée. Ils sont ainsi amenés à réinterpréter de façon négative leurs expériences dans l’Église, qu’ils avaient auparavant perçues de façon très positive. Certains sont incités à devenir des opposants déclarés de l’Église dans les médias et à faire partie du fameux “mouvement anti-sectes”. »

Ce sont ces derniers que les sociologues appellent « apostats ». Toutefois, note CAP-LC, « les études menées par Bromley et d’autres universitaires ont démontré que seule une minorité de ceux qui quittent une religion deviennent des apostats. La plupart des ex-membres passent simplement à d’autres expériences et ne sont nullement intéressés à attaquer publiquement la religion qu’ils ont quittée. Mais les apostats sont les seuls ex-membres que les mouvements anti-sectes mobilisent et mettent en contact avec les médias, lesquels sont heureux de rapporter ce que les sociologues appellent des “récits d’atrocités”. »

Ignorant les précédents dans d’autres pays ainsi que les critiques des universitaires, les autorités japonaises considèrent les apostats comme leur source d’information privilégiée sur l’Église de l’Unification. CAP-LC demande au « Comité des droits de l’homme des Nations unies d’attirer l’attention du gouvernement japonais sur les graves lacunes affectant son enquête sur l’Église de l’Unification/Fédération des familles ; de l’inviter à respecter fermement ses obligations en vertu du Pacte international relatif aux droits civils et politiques dans ce dossier, en particulier concernant l’exigence de la présomption d’innocence jusqu’à la preuve de culpabilité, le droit à un procès équitable, et le droit des personnes faisant l’objet d’une enquête de contester les preuves présentées contre elles. »

Dans le modèle de Rome, l’intolérance est suivie de la discrimination, « c’est-à-dire de mesures légales et administratives visant une minorité impopulaire ». Ces mesures ont maintenant abouti à la création d’une commission ad hoc chargée d’enquêter sur l’Église de l’Unification/Fédération des familles, avec pour objectif d’envisager une action en justice pour sa dissolution.

La façon dont la commission est organisée, note CAP-LC, « est contraire à l’article 14 du PIDCP. Au lieu d’être présumée innocente (article 14.2), la Fédération des familles est présumée coupable dès le début de la procédure. »

Même si les partis politiques ne font pas partie des gouvernements, ils ont un rôle constitutionnel et sont tenus de respecter les principes du PIDCP. Au Japon, le Parti libéral-démocrate au pouvoir a modifié son Code de gouvernance pour interdire à ses parlementaires de coopérer avec « des organisations ou groupes dont les activités soulèvent des préoccupations d’ordre social ». Il a envoyé une lettre à tous ses parlementaires expliquant que par « organisations ou groupes », il entend l’Église de l’Unification/Fédération des familles et toutes ses organisations affiliées. Selon CAP-LC, « il s’agit d’une violation flagrante de l’article 22 du PIDCP sur la liberté d’association et de l’article 25 sur le droit à la participation politique. »

De même, le fait que les organisations affiliées à l’Église de l’Unification, y compris la Fédération pour la paix universelle et la Fédération des femmes pour la paix mondiale, toutes deux reconnues par les Nations unies, fassent l’objet d’une discrimination uniquement en raison des croyances religieuses de leurs fondateurs et de certains de leurs membres, constitue une violation de l’article 2 et de l’article 18 du PIDCP.

Enfin, CAP-LC écrit : « Nous aimerions conclure en affirmant que la troisième étape du modèle de Rome, la persécution, est encore à venir et qu’on peut l’éviter si l’on arrête la répression de l’Église de l’Unification à son stade actuel, à savoir celui de la discrimination. Mais ce n’est vrai qu’en partie. Alors que la Fédération des familles n’a pas encore été dissoute, et qu’aucun membre n’a été incriminé ou arrêté, le climat d’intolérance et de discrimination, alimenté par des discours de haine, n’a pas manqué d’engendrer des crimes de haine. » CAP-LC énumère plusieurs cas de violences verbales et physiques contre des fidèles et des propriétés de la Fédération.

« Une intervention du Comité devient, plus que jamais, une véritable urgence ! » conclut CAP-LC.