22 juin 2021 | Massimo Introvigne | Bitterwinter
Le 7 avril 2021, par une décision dont les motifs ont été récemment publiés, la Cour constitutionnelle de Colombie a statué dans une affaire historique de transfusion sanguine impliquant un adolescent témoin de Jéhovah.
La jeune D.S.C.L., âgée de 16 ans, est entrée le 24 mai 2020 à l’hôpital de La Esperanza, où on lui a diagnostiqué une leucémie lymphoïde aiguë. Elle a été informée par ses médecins que leur pratique habituelle est de recourir à des transfusions sanguines dans le cadre de la thérapie de sa maladie. D.S.C.L. a informé le personnel de l’hôpital que, en tant que Témoin de Jéhovah, elle n’accepterait pas de transfusions sanguines et qu’elle avait le soutien de ses parents.
Sollicitée par l’hôpital, une autorité administrative, le Défenseur de la Famille de la zone Centro Zonal Mártires (Bogotá) de l’ICBF (Institut Colombien du Bien-être Familial) a émis le 24 juin 2020 une ordonnance selon laquelle tous les traitements jugés nécessaires par les médecins pour préserver la vie et l’intégrité physique de D.S.C.L. devraient lui être administrés, si cela est jugé nécessaire, contre sa volonté.
D.S.C.L. a fait appel de cette ordonnance devant le tribunal administratif de Bogota par le biais d’une procédure constitutionnelle, qui a statué le 4 août 2020 que les médecins devaient appliquer tous les remèdes nécessaires, à l’exclusion toutefois des transfusions de sang total ou de ses quatre principaux composants, que les Témoins de Jéhovah refusent pour des raisons religieuses.
Cependant, le 15 septembre 2020, l’ordonnance a été modifiée en appel par le tribunal administratif de la région de Cundinamarca, qui a jugé qu’en cas d' »extrême urgence », des transfusions de sang ou de ses quatre principaux composants pouvaient être imposées à D.S.C.L.
D.S.C.L. a fait appel devant la Cour constitutionnelle qui, le 26 janvier 2021, a suspendu l’efficacité de la décision lui imposant une transfusion sanguine. Le 16 mars 2021, la Cour constitutionnelle, dans une décision provisoire, a rejeté la demande de l’hôpital de réviser l’ordonnance du 26 janvier ou de l’interpréter en ce sens que « l’extrême urgence » et une menace immédiate pour la vie justifieraient de forcer la transfusion sanguine de D.S.C.L.
Le 7 avril 2021, la Cour constitutionnelle a décidé que D.S.C.L. avait le droit de refuser les transfusions sanguines et de recevoir un traitement utilisant des stratégies alternatives aux transfusions.
Cette décision se fonde sur le principe selon lequel un « mineur majeur » tel qu’une personne de 17 ans a le droit de prendre des décisions concernant sa vie et sa santé (d’ailleurs, les parents de D.S.C.L. l’ont soutenue).
Elle se fonde également sur la liberté de religion et le droit de vivre dans la dignité en tant que droits absolus, qui incluent le droit de refuser un traitement médical contraire à ses convictions religieuses.
La Cour fait une distinction entre la liberté de religion et la liberté de culte. Alors que la liberté de culte est le droit de participer aux activités religieuses d’une église ou d’une organisation, la liberté de religion est le « droit de vivre conformément aux préceptes » de sa foi. Pour le croyant, ces préceptes « ont été établis par Dieu ».
Il est clair, dit le tribunal, que le refus des transfusions sanguines pour un Témoin de Jéhovah fait partie de ces préceptes sacrés. D.S.C.L. a déclaré qu’elle résisterait aux transfusions sanguines « de toutes ses forces […], comme s’il s’agissait d’une violation sexuelle ». Elle ne pouvait être transfusée qu’en « agissant contre sa volonté », c’est-à-dire que « le personnel de santé ne pouvait transfuser du sang que « violemment ou en la sédatant ou en la narcotisant pour qu’elle ne s’en aperçoive pas » ». Pour la jeune femme, note le tribunal, » recevoir une transfusion de sang, ou de ses quatre principaux composants, implique de sacrifier ses croyances et ses valeurs morales, avec de graves conséquences émotionnelles, spirituelles et morales, puisqu’elle devrait vivre avec le fardeau qui implique, pour elle, d’avoir désobéi aux commandements de Dieu « . En d’autres termes, obliger la plaignante à recevoir de telles transfusions impliquerait de la soumettre à des conditions de vie qu’elle considère indignes au regard de la foi qu’elle professe. »
Dans ce cas, selon la Cour constitutionnelle, » la décision de la demanderesse [D.S.C.L.] constitue un exercice clair de sa liberté religieuse. En effet, la décision de ne pas recevoir de transfusions de sang ou de ses quatre principaux composants n’est ni capricieuse ni infondée. Au contraire, cette décision est fondée sur ses convictions religieuses en tant que témoin de Jéhovah. »
Le tribunal poursuit en disant que « la décision de devenir témoin de Jéhovah, selon la plaignante, est le résultat de son étude personnelle de la Bible, qui l’a également conduite à la conviction qu’elle « doit s’abstenir de sang » ». « De manière libre et éclairée, [elle] a décidé de rejeter une procédure médicale spécifique qu’elle considère comme contraire à ses croyances religieuses et a déclaré que, si elle devait la subir, elle transgresserait les préceptes moraux transmis par Dieu, selon la religion qu’elle professe. En ce sens, la plaignante a déclaré qu’elle ne pourra « véritablement jouir d’une vie digne » que si elle est autorisée à vivre selon « ses valeurs morales et spirituelles fondées sur la Bible ». Elle a ajouté que « ce sont ces mêmes convictions qui l’aident à faire face à cette douloureuse maladie et, plus important que jamais, à maintenir sa paix spirituelle ».
Imposer une transfusion sanguine à la jeune femme » menacerait effectivement les droits fondamentaux à la liberté religieuse et à la vie dans la dignité de la plaignante. Le premier, parce qu’il rendrait impossible à la plaignante de réaliser son aspiration à vivre d’une manière conforme à la foi qu’elle professe et, à son tour, affecterait sa relation personnelle avec Dieu. En d’autres termes, si elle devait recevoir des transfusions ou ses quatre composants, D.S.C.L. ne serait pas en mesure d’être en paix avec Dieu ». Ce dernier, parce que recevoir des transfusions sanguines « implique de sacrifier ses croyances et ses valeurs morales, avec de graves conséquences émotionnelles, spirituelles et affectives, puisqu’elle devrait vivre avec le fardeau qui implique, pour elle, d’avoir désobéi aux commandements de Dieu. En d’autres termes, forcer la plaignante à recevoir de telles transfusions impliquerait de la soumettre à des conditions de vie qu’elle considère indignes au regard de la foi qu’elle professe. »
Les Témoins de Jéhovah recherchent les meilleurs soins médicaux disponibles. Cependant, ils estiment que les transfusions de sang de donneurs sont contraires aux commandements bibliques d’abstinence de sang (Genèse 9:4 ; Lévitique 17:10 ; Deutéronome 12:23 ; Actes 15:28, 29). Refuser la transfusion sanguine et choisir des stratégies thérapeutiques qui évitent la transfusion sont considérés comme un acte de respect envers Dieu en tant que donneur de vie (citant Lévitique 17:14).
La décision du D.S.C.L. reconduit un précédent de la Cour constitutionnelle colombienne de 2016, lorsqu’un témoin de Jéhovah appelé Héctor Manuel León a gagné un procès contre les autorités sanitaires et le droit de faire remplacer une valve aortique sans transfusion sanguine.
Cependant, l’affaire D.S.C.L. est différente, car elle concerne un « adulte mineur », et une situation où certains médecins ont affirmé qu’il y avait un besoin absolu de transfusions sanguines. En tant que tel, il s’agit d’un précédent de portée internationale dans les efforts continus des Témoins de Jéhovah pour affirmer leur droit de refuser des transfusions sanguines pour des raisons religieuses et de choisir des alternatives thérapeutiques efficaces.
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