27 mai 2021 | Massimo Introvigne | BitterWinter

Le 21 mai 2021, la Cour suprême du Canada a refusé de revoir une décision de l’archevêque copte éthiopien de Toronto, qui avait expulsé cinq membres de l’église orthodoxe éthiopienne Tewahedo du Canada, la cathédrale de Sainte-Marie.

L’Église orthodoxe éthiopienne Tewahedo est l’Église copte historique d’Éthiopie, qui compte quelque 36 millions de membres. Récemment, au sein de la diaspora occidentale de l’église, un mouvement « évangélique » a vu le jour, qui a tenté d’importer dans l’église copte certaines caractéristiques de la théologie évangélique protestante, et de minimiser la vénération de la Vierge Marie qui est typique de la spiritualité éthiopienne.

Dans la congrégation de Toronto, la présence de ce mouvement a suscité une vaste controverse. L’archevêque a nommé un comité qui a recommandé des mesures disciplinaires sévères pour éradiquer le mouvement. Après avoir lu le rapport, l’archevêque a censuré certaines personnes, mais son action n’allait pas jusqu’aux mesures draconiennes recommandées par le comité. Les membres du comité critiquent alors de plus en plus vivement l’archevêque, l’accusant de tolérer l’hérésie. Finalement, ce ne sont pas les « évangéliques » mais cinq membres du comité que l’archevêque expulse de l’église.

Paradoxalement, puisque les religieux normalement conservateurs défendent l’idée que les tribunaux laïques n’ont aucune autorité pour s’immiscer dans les différends théologiques, ces membres conservateurs ont fait appel à un tribunal laïque en demandant aux juges de déclarer leur expulsion nulle, non avenue et contraire aux « principes de justice naturelle ». Leur action a été rejetée, mais la Cour d’appel s’est prononcée en faveur des membres expulsés, arguant que les statuts d’une organisation volontaire telle que l’Ethiopian Orthodox Tewahedo Church of Canada constituent un « contrat » et qu’un procès était nécessaire pour déterminer si l’archevêque l’avait violé.

À l’unanimité, la Cour suprême a renversé cette conclusion, déclarant que les règlements d’une organisation volontaire  » sont des mesures pratiques permettant de poursuivre des objectifs communs. Mais ils ne donnent pas lieu en soi à des relations contractuelles entre les personnes qui y adhèrent. […] Les membres de la ligue locale de hockey mineur, ou d’un groupe formé pour s’opposer à l’aménagement d’espaces verts, ou d’un groupe d’étude de la Bible, par exemple, ne contractent pas d’obligations juridiques exécutoires simplement parce qu’ils ont adhéré à un groupe doté de règles que les membres sont censés suivre.  »

Plusieurs organisations ont soumis des dossiers amici. La plupart des grands organismes religieux canadiens sont intervenus pour soutenir l’Église copte, notamment l’Alliance évangélique, l’Église catholique romaine, les Témoins de Jéhovah, les Adventistes du septième jour et le Conseil national des musulmans canadiens. Plusieurs associations humanistes laïques sont intervenues pour soutenir les membres de l’église expulsés.

L’enjeu était de savoir si le principe général selon lequel les tribunaux civils n’ont pas à examiner les questions d’excommunication et d’exclusion, affirmé par la Cour suprême dans l’affaire Wall de 2018 qui concernait les Témoins de Jéhovah, a une validité universelle et doit être appliqué à toutes les religions, y compris celles qui ont des statuts officiels. Les humanistes laïques ont tenté de faire valoir que l’affaire Wall ne devait pas être considérée comme un précédent de valeur générale ou qu’elle  » protégerait de manière injustifiée les organisations religieuses et leurs dirigeants d’un examen judiciaire. “

La Cour suprême, cependant, n’est pas d’accord et maintient que, qu’il y ait ou non des règlements, le précédent Wall est maintenu et que la liberté religieuse corporative de l’Église copte Tewahedo éthiopienne, comme celle des Témoins de Jéhovah dans l’affaire Wall, implique que les décisions d’exclusion ou d’expulsion des membres d’une organisation religieuse prises par ses autorités dûment constituées ne sont pas justiciables.

À une époque où la liberté religieuse des organisations est fréquemment attaquée par ceux qui voudraient privilégier les droits individuels des fidèles, cette décision de la Cour suprême du Canada est un ajout bienvenu à la jurisprudence existante et aura, espérons-le, une influence au-delà du Canada.