26 février 2021 | Willy Fautré | Human Rights Without Frontiers

Le 16 février, un procès contre la Congrégation Chrétienne des Témoins de Jéhovah (CCTJ) s’est ouvert au tribunal correctionnel de Gand (Flandre orientale) sur base d’allégations de discrimination et d’incitation à la haine, en particulier en raison de leur politique de rejet des personnes excommuniées ou décidant de sortir de la communauté.

Un ancien témoin de Jéhovah qui avait choisi de quitter le mouvement en 2011 a porté plainte au pénal contre la CCTJ en 2015 et s’est assuré du soutien d’une douzaine d’autres anciens témoins de Jéhovah. Les plaignants ont été défendus par quatre avocats lors de l’audience du tribunal de première instance. Pendant deux heures et demie, ils ont exposé leurs arguments et leurs clients ont fait état d’allégations d’ostracisme familial. Leurs doléances ont bénéficié de l’appui de UNIA, une institution publique interfédérale indépendante financée par de l’argent public qui lutte conte la discrimination et le racisme et fait la promotion de l’égalité des chances.

La CCTJ était défendue par deux avocats qui ont plaidé pendant environ une heure et demie. Ils ont attiré l’attention du juge sur le fait que les plaignants demandaient en fait de condamner la Bible puisque c’est le fondement des croyances religieuses et des pratiques adoptées par les témoins de Jéhovah. Ce serait une première depuis le 16e siècle si un tribunal en Europe occidentale condamnait la Bible au pénal, ont-ils déclaré.

Une demi-douzaine de journalistes étaient présents pour couvrir ce procès inhabituel.

Qui sont les plaignants?

Le plaignant principal n’a pas été exclu des témoins de Jéhovah mais il en est parti de son propre chef. Son épouse et ses enfants n’ont pas été exclus et n’en sont pas partis bien qu’ils se soient joints aux plaignants.

Seuls deux anciens témoins de Jéhovah étaient des exclus, l’un d’eux s’étant porté partie civile le jour même du procès.

Six avaient librement décidé de renoncer à leur foi.

Cinq n’avaient ni quitté le mouvement ni n’en avaient été exclus. Ils sont toujours considérés comme des membres des témoins de Jéhovah, bien qu’ils soient inactifs.

Les déclarations des plaignants

Dans des déclarations reposant davantage sur l’émotionnel que sur des faits, les plaignants ont avancé diverses allégations concernant des actions inhumaines d’ostracisme de la part de membres de leurs familles qui sont encore témoins de Jéhovah.

Toutefois, dans un certain nombre de cas, les affirmations des plaignants concernant le comportement moral soi-disant discutable de membres de leurs familles ont été contredites par des déclarations écrites et signées par ces derniers.

Par exemple, le beau-frère du plaignant principal a dit:

Mon beau-frère (…) a décidé à un certain moment de sa vie de quitter les témoins de Jéhovah. J’ai respecté ceci et je n’ai jamais eu aucun sentiment de haine à son égard. Les contacts que nous avons l’un avec l’autre sont tenus au minimum; ceci est ma décision personnelle, laquelle se fonde sur la façon dont il me traite ainsi que ma famille et mes coreligionnaires (…). Parfois, je rencontre son épouse (et ma belle-soeur) et leurs enfants quand je rends visite à mes beaux-parents. Bien que ces contacts ne soient pas aussi chaleureux qu’auparavant, ils se déroulent toujours dans une atmosphère amicale. Mon épouse a aussi des contacts avec sa soeur et ses enfants. Ces interactions ont habituellement lieu chez leurs parents et sont toujours cordiales.

Les plaignants se sont également fondés sur les déclarations de huit personnes ayant avancé diverses allégations sur la façon dont leurs amis et des membres de leurs familles qui sont témoins de Jéhovah les ont prétendument injustement traités. Toutefois, aussi bizarre que cela puisse paraître, aucune de ces huit personnes n’a été exclue ni n’a choisi de quitter le mouvement, ce qui rend leurs témoignages non pertinents.

Par ailleurs, la CCTJ a déposé au tribunal les déclarations de neuf personnes exclues qui ont depuis lors été réintégrées par les témoins de Jéhovah. Ces témoignages jettent une lumière bien différente sur cette affaire. Elles expliquent comment elles ont été bien traitées par les anciens de la congrégation, leurs familles et d’autres membres de la communauté après avoir été excommuniées. Voici quelques extraits de déclarations déposées au tribunal par deux d’entre elles dont les noms ont été changés par l’auteur:

Ivona:

“J’ai été excommuniée comme témoin de Jéhovah quand j’avais 37 ans pour un genre de vie que je savais être contraire aux normes de la Bible. J’ai accepté cette décision des anciens de m’excommunier, sachant qu’elle était basée sur la Bible. Les anciens que j’ai rencontrés m’ont dit avec amour que mon exclusion n’avait rien de permanent, que je pouvais toujours revenir et que cela pourrait se faire rapidement. Malheureusement, j’ai fait d’autres mauvais choix dans la vie et je me suis de plus en plus éloignée (…). Bien que j’aie été excommuniée, j’ai parfois assisté à des services religieux des témoins de Jéhovah dans leur lieu de culte  qu’on appelle Salle du Royaume. Les anciens m’ont fait sentir chez moi à ces services religieux, et m’ont donné de la littérature religieuse pour que je puisse suivre les discussions pendant ces services (…). Il y a environ trois ans, en 2017, je suis entrée en contact avec une amie chère qui est témoin de Jéhovah. Je lui ai dit que je souhaitais réintégrer la congrégation. (…)”

Liliane:

“Les témoins de Jéhovah ont-ils été durs et irrespectueux avec moi? Jamais. Moi-même, je n’ai jamais été hostile et irrespectueux avec eux. Ma mère, qui est témoin de Jéhovah, m’a-t-elle aidée quand je suis tombée malade? Oui. Est-ce que je pouvais continuer à voir mes petits-enfants. Oui. Est-ce que je pouvais assister aux services religieux de la congrégation si je le souhaitais? Oui. Est-ce qu’ils continuaient à m’aimer? Oui. Tout le monde s’occupait de moi. Est-ce que ma famille et mes amis étaient d’accord avec ce que Dieu attendait d’eux, ce qui impliquait des contacts limités avec moi? Oui, avec difficulté et tristesse mais dans la fidélité à Dieu. Pas parce qu’ils étaient forcés par une organisation.”

Les cas soulevés au tribunal de Gand sont clairement et exclusivement des affaires de famille. Il serait réducteur de ramener l’explication de relations familiales perturbées à des croyances religieuses ou des politiques officielles des témoins de Jéhovah. Il y a tant de facteurs différents qui expliquent les points de vue et les valeurs des uns et des autres à l’intérieur d’une famille tels que de nombreux protagonistes en ont fait l’expérience dans leur propre situation.

La CCTJ considère qu’elle n’est pas légalement responsable des relations intra-familiales entre ses membres et d’anciens membres vu qu’il s’agit de décisions personnelles.

Toutes les religions organisées ont des procédures d’exclusion et d’excommunication dans leurs statuts et les témoins de Jéhovah ne font pas exception. Comme ils l’indiquent sur leur site internet, “si un Témoin prend l’habitude d’enfreindre les lois morales de la Bible et qu’il ne se repente pas, il sera excommunié.” Pour eux, il s’agit d’une croyance religieuse fondamentale imposée par la Bible. A ce sujet, ils citent souvent certains versets du Nouveau Testament, tels que 1 Corinthiens 5:6, 11-13 et 2 Jean 1, 9-11.

D’après les habitudes religieuses internes des témoins de Jéhovah, quand les anciens d’une congrégation locale excluent un membre ou sont informés d’un départ volontaire, ils font une brève annonce publique neutre disant: ” “[Nom de la personne] n’est plus témoin de Jéhovah”.

Dans leur conclusions déposées au tribunal avant le procès, ils disent qu’ils ne font pas de ségrégation à l’égard des membres exclus ou démissionnaires puisqu’ils peuvent toujours participer à leurs services religieux. Ils indiquent également que les témoins de Jéhovah baptisés qui ne sont plus actifs avec leurs coreligionnaires ne sont pas rejetés.

En guise de clarification des relations entre les témoins de Jéhovah et les membres de leurs familles exclus ou démissionnaires, ils déclarent: ”Dans l’entourage immédiat, bien que les ‘liens religieux’ que les exclus et les démissionnaires avaient avec leur famille changent, … les liens du sang perdurent.” En d’autres termes, ils continuent de mener une vie de famille normale et de se témoigner de l’affection.

En réalité, toute cette affaire à Gand est une tentative d’obliger les témoins de Jéhovah à changer leurs pratiques religieuses ancrées dans la Bible.

A ce sujet, un certain nombre d’experts en matière religieuse ont examiné la politique d’excommunication et de rejet telle que pratiquée par les témoins de Jéhovah. L’un d’eux, le Dr. Massimo Introvigne, fondateur et directeur exécutif du Centre pour les Etudes des Nouveaux Mouvements Religieux (CESNUR), a écrit: “En défendant les droits de leurs comités de discipline religieuse à se prémunir de toute ingérence de l’état quand ils décident de l’excommunication d’un membre ou d’autre chose, et leur droit à interpréter la Bible dans le sens où elle ordonnerait le rejet de ceux qui avaient été excommuniés, les témoins de Jéhovah défendent une fois de plus la liberté religieuse de tous, précisément dans un domaine où elle est actuellement particulièrement assiégée.” .”—The Journal of CESNUR, Vol. 5, No. 1, January–February 2021, pp. 54-81.

Verdict le 16 mars

Le tribunal va annoncer son verdict le 16 mars. Il serait difficile de comprendre que la CCTJ puisse être tenue responsable de discrimination et d’incitation à la haine dans des cas de détérioration de relations intra-familiales, suite à une procédure d’excommunication ou de démission dans une congrégation locale, vu qu’il n’y a pas de politique d’ostracisme à l’égard d’anciens membres. Toutefois, si le tribunal de première instance devait rendre un tel verdict, il ferait très certainement l’objet d’un appel et cela pourrait même aller jusqu’à la Cour européenne des droits de l’homme. Ceci aurait également des répercussions sur d’autres communautés religieuses où la conversion, l’apostasie et l’exclusion sont suivies d’ostracisme familial et social, ou pire.