8 juin 2021 | Willy Fautré | BitterWinter
Dans l’État fédéral belge, qui comprend trois Régions, un projet de décret relatif à la reconnaissance, au financement et à la gestion matérielle des communautés confessionnelles locales en Flandre vient d’être approuvé par le Gouvernement flamand et sera examiné par le Parlement flamand.
Au cours du processus législatif, les avis de plusieurs institutions et parties prenantes ont été recueillis : le Conseil d’État, l’Association des villes et communes flamandes, l’Association des provinces flamandes, la Commission flamande de contrôle et les membres du Dialogue interreligieux flamand.
Le décret vise à réglementer la reconnaissance et le contrôle par la Région flamande des communautés religieuses locales affiliées à l’une des six religions reconnues par l’État belge aux XIXe et XXe siècles : catholicisme, protestantisme, judaïsme, anglicanisme, islam, et l’orthodoxie. La laïcité, une vision du monde philosophique non religieuse, a été officiellement reconnue au 21e siècle.
Il est à noter qu’il n’y aurait aucune raison de déposer un tel décret, manifestement inspiré par une méfiance et une suspicion exacerbées à l’égard de l’islam. En effet, la mise en place du mécanisme de double reconnaissance conduisant au financement public des communautés religieuses locales en Belgique n’avait pas récemment posé de problème sécuritaire majeur. Cependant, dans le climat général de peur accrue envers le radicalisme islamique, les autorités politiques de plus en plus de démocraties européennes ont décidé de faire voter des lois censées empêcher cette évolution violente chez certains musulmans. La Belgique ne fait pas exception à ce phénomène, mais comme les politiques ciblant une religion spécifique enfreindraient les normes internationales sur la liberté de religion ou de conviction, de nouveaux textes législatifs concernant toutes religions et restreignant leurs libertés sont désormais adoptés. Il s’agit d’un grave « dommage collatéral » et d’une menace pour la liberté religieuse dans le pays.
Jelle Creemers, professeur associé à l’ Evangelische Theologische Faculteit, Louvain (Belgique), a examiné le projet de décret controversé qui aura un impact négatif sur les droits et libertés des églises protestantes et évangéliques en Flandre ainsi que d’autres religions reconnues par l’État. Le 3 juin 2021, il a publié un article sur ce numéro intitulé « Le projet de loi flamand sur les communautés religieuses : une analyse critique » dans Bitter Winter qu’il avait présenté la veille à la table ronde du FORB Bruxelles-UE.
Le projet de décret flamand est intrinsèquement lié au système de financement public des cultes reconnus par l’État qui a été introduit dans la constitution après la création du Royaume de Belgique, d’abord dirigé par un roi protestant allemand, en 1830.
En effet, le principe du financement public des cultes est antérieur à l’existence de la Belgique en tant qu’entité politique et territoriale.
Lorsqu’en 1792 les troupes françaises pénétrèrent dans les Provinces méridionales des Pays-Bas (environ la Belgique actuelle), alors sous domination autrichienne, elles commencèrent à imposer la domination française et sa législation religieuse héritée de la révolution de 1789 : en particulier, la privation des libertés fondamentales, des privilèges et des droits de propriété de l’Église catholique.
Cependant, en 1801, Napoléon imposa unilatéralement un concordat humiliant au pape Pie VII, rétablit en partie les droits de l’Église, mais la mit fermement sous sa domination. Le 8 avril 1802, une loi régissant le culte public du catholicisme et du protestantisme est promulguée. Il comprenait des dispositions concernant le financement public de leur clergé. Sous Napoléon, les Juifs s’émancipent et en 1807, il désigne le judaïsme comme l’une des religions officielles de France, avec le catholicisme romain et le protestantisme dans sa diversité.
Après la bataille de Waterloo et la défaite de Napoléon, les « terres belges » tombent sous la domination hollandaise et un prince protestant pendant 15 ans (1815-1830). La législation prévoyant le financement des cultes mise en place par Napoléon est restée inchangée.
En 1831, la constitution belge fondée sur le code napoléonien confirme le paiement par l’État des salaires et pensions de retraite des cultes reconnus par l’État (alors art. 117) mais le concordat avec l’Église catholique est aboli.
En 1836, la nouvelle législation sur les communes et les provinces prévoyait qu’elles devaient fournir des logements au clergé et rembourser le déficit financier des entités juridiques (appelées fabriques d’églises dans le langage administratif belge) gérant les budgets des communautés locales des religions reconnues par l’État.
Dans la seconde moitié du 19 e siècle, le financement des religions et le manque de contrôle des dépenses étaient une pomme de discorde entre le Parti libéral et le Parti catholique. Cela aboutit à la promulgation de la loi du 4 mars 1870 réglementant le contrôle par les pouvoirs publics de la gestion financière des fabriques d’églises des cultes alors reconnus par l’État : catholicisme, protestantisme, anglicanisme et judaïsme.
À la fin du 20 e siècle (1994), la Belgique est devenue un État fédéral à trois régions (Flandre, Wallonie et Bruxelles-Capitale). Cela a déclenché un mécanisme de dévolution lente, mais constante des pouvoirs.
L’État fédéral conservait la compétence de reconnaître les cultes et de payer les salaires et pensions de retraite de leur clergé.
Les trois Régions, qui disposent de leur parlement et de leur gouvernement, étaient chargées de la reconnaissance ou non des communautés confessionnelles locales à financer.
Les 10 provinces sont restées chargées de l’aide financière aux fabriques d’églises des cathédrales catholiques, mais aussi des autres religions et visions du monde qui ont été reconnues par l’État entre-temps : L’Islam (1974), l’Orthodoxie (1985) représentée par le Patriarcat de Constantinople et plus tard, enfin et surtout, l’entité philosophique non religieuse connue sous le nom de Laïcité organisée (2002).
Les municipalités demeurent responsables des fabriques d’églises locales des communautés catholique, protestante-évangélique, anglicane et israélite (juive).
Toutes les religions reconnues par l’État et la Laïcité, mais pas l’Islam, ont réussi à mettre en place une plate-forme représentative qui a été facilement acceptée par l’État comme interlocuteur officiel. L’islam n’a en effet ni clergé ni hiérarchie et ses communautés en Belgique sont étroitement liées à l’immigration ainsi qu’aux pays d’origine (Maroc, Turquie, Iran, Pakistan, etc.).
Malgré les élections internes de 1998 et 2005 (sous pression de l’État), la plate-forme représentative nommée Exécutif des Musulmans de Belgique (EMB) a été déchirée par des scandales financiers et des conflits internes (principalement entre représentants marocains et turcs) au cours desquels elle a perdu sa légitimité. En conséquence, ce n’est qu’après plus de 30 ans (2007) que quelques communautés musulmanes locales ont eu droit à un financement public.
En 2014, le processus électoral a été remplacé par un mécanisme prévoyant la représentation des communautés musulmanes liées à leurs propres mosquées. Les priorités de l’EMB étaient alors la reconnaissance de nouvelles communautés locales (mosquées), la formation d’enseignants de religion islamique dans les écoles publiques et d’imams devant être reconnus et financés par l’État. Le libre accès aux programmes de radio et de télévision, déjà accordé à d’autres religions et visions du monde, était également à l’ordre du jour.
Au cours de ces décennies de relations mouvementées entre l’État belge et ses communautés musulmanes, l’environnement géopolitique mondial a été profondément transformé par un certain nombre d’événements et de développements dramatiques : l’attentat du 11 septembre aux États-Unis, les guerres au Moyen-Orient et en Afghanistan, le terrorisme international, le djihadisme, l’émergence d’un islam politique et la radicalisation de certains musulmans. Le 22 mars 2016, la Belgique a été durement touchée par trois attentats-suicides coordonnés perpétrés par de jeunes musulmans belges, au cours desquels 33 personnes ont perdu la vie et plus de 300 ont été blessées. Les djihadistes belges se sont rendus en Syrie et sur d’autres champs de bataille ; des musulmans radicalisés (hommes et femmes) ont été arrêtés et certains imams radicaux pourraient être expulsés.
C’est le contexte tumultueux qui a suscité beaucoup de méfiance et d’inquiétude de la part des autorités belges au niveau des parlements et des gouvernements de l’Etat fédéral et de ses Régions.
Ceci explique les mesures de sécurité que l’Etat et la Région flamande entendent prendre mais cela ne justifie pas la méfiance des pouvoirs publics à l’égard de toutes les religions, le contrôle disproportionné de leurs activités, et les restrictions envisagées à leur liberté religieuse sous prétexte de lutter terrorisme basé sur l’islam ultra-fondamentaliste, qui n’est pas partagé par une majorité écrasante de musulmans en Belgique.
Dans un article publié dans Bitter Winter le 4 juin, Massimo Introvigne, ancien « Représentant sur la lutte contre le racisme, la xénophobie et la discrimination, avec un accent particulier sur la discrimination contre les chrétiens et les membres d’autres religions » de l’ Organisation pour la sécurité et la coopération en Europe (ECOS), a déclaré que la première réaction politique contre « l’intégrisme islamique » est d’adopter une nouvelle loi, mais il minimise l’efficacité de telles initiatives. Au terme de son analyse, il a conclu que « C’est rarement efficace, car les organisations ultra-fondamentalistes responsables du terrorisme comme al-Qaida et l’État islamique opèrent dans la clandestinité. Une loi interdisant les organisations « extrémistes » ne les affecterait pas. Ils sont déjà interdits partout en tant que groupes criminels.
Il n’y a aucune preuve que l’interdiction d’autres groupes islamiques conservateurs aiderait à lutter contre le terrorisme.
Le Parlement flamand serait avisé d’adopter une législation plus appropriée sur la reconnaissance, le financement et la gestion matérielle de toutes les communautés religieuses locales, qui ne compliquerait ni ne restreindrait leur exercice de la liberté religieuse. Il appartiendra au Parlement flamand d’assumer cette responsabilité et d’être réceptif aux amendements allant dans ce sens.
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