4 août 2021 | Ada Mullol | Euro-Islam.info
La loi visant à sauvegarder les « principes républicains » français et à lutter contre le « séparatisme islamique » a été approuvée par l’Assemblée nationale française le 23 juillet 2021, après des mois de débats sur sa limitation de la liberté d’association et d’expression et sa discrimination à l’égard de l’Islam.
Selon les articles du projet de loi, les pouvoirs publics ne financeront que les organisations musulmanes ayant signé un contrat d’« engagement républicain » (article 6) — au moment de la rédaction de cet article, le texte final de la loi adoptée n’était pas disponible en ligne (voir le projet de loi soumis à l’examen de l’Assemblée nationale le 1er juillet). En outre, les motifs de dissolution des organisations (article 8) ont été étendus pour inclure les conflits ou les contradictions avec les « principes républicains ». Cela pourrait avoir une incidence directe sur la construction de mosquées et donner plus de latitude aux autorités locales pour fermer des associations musulmanes locales.
D’autres articles très controversés n’ont cependant pas été approuvés dans la version finale. L’un de ces articles était la restriction presque totale du port du foulard dans les espaces publics, votée par le Sénat français le 30 mars 2021 (article 1). Parmi les autres dispositions figuraient l’interdiction du port du voile pour les parents accompagnant leurs enfants lors de sorties scolaires et l’interdiction du burkini dans les piscines publiques. Ces limitations ont déclenché des protestations sur les médias sociaux sous le hashtag #PasToucheAMonHijab (#HandsOffMyHijab), qui est devenu viral même au-delà des frontières françaises — avec le soutien d’Ibtihaj Muhammad, la première femme américaine à porter le hijab aux Jeux olympiques, entre autres. Les manifestants ont vu dans ces restrictions supplémentaires une énième tentative de contrôler le corps des femmes, après l’interdiction du port du hijab dans les écoles publiques en 2004 et l’interdiction du voile intégral dans les lieux publics en 2010. Certains ont demandé si la devise nationale française « Liberté, Égalité, Fraternité » s’applique toujours aux femmes musulmanes. Lors du vote final à l’Assemblée nationale, ces dispositions discriminatoires ont été supprimées.
Néanmoins, les premières applications de la loi ont commencé à montrer leurs effets sur la liberté religieuse. Dans la région de la Loire, l’imam de la grande mosquée de Saint-Chamond, Mmadi Ahamada, a été licencié le 23 juillet pour avoir prononcé un sermon à l’occasion de l’Aïd al-Adha (19-23 juillet) jugé « contraire aux valeurs de la République ». Il a fait référence dans son sermon aux versets coraniques de la sourate Ahzab relatifs aux épouses du Prophète Muhammad, qui stipulent : « Ô épouses du Prophète, […] restez dans vos maisons et ne vous exhibez pas comme le faisaient les femmes à l’époque de l’ignorance “préislamique” ». Après la diffusion en ligne d’une vidéo de son sermon, le ministre de l’intérieur, Gérald Moussa Darmanin, a demandé au bureau du gouverneur de la Loire de le démettre de ses fonctions et de veiller à ce que son titre de séjour ne soit pas renouvelé. M. Darmanin a qualifié les déclarations de l’imam d’« inacceptables », « contraires à l’égalité des sexes » et aux « valeurs de la République », bien que l’imam ait déclaré que les versets avaient été sortis de leur contexte.
De même, dans la province des Hauts-de-Seine, l’imam Mahdi Bouzid a été licencié sur ordre du ministre de l’Intérieur, parce qu’il a critiqué le style de certaines femmes musulmanes lors d’un sermon le 4 juin 2021 à la mosquée de Gennevilliers. Il aurait reproché à certaines femmes de « manquer de pudeur » et « d’être habillées par le démon », notamment « celles qui partagent sur les réseaux sociaux des leçons de maquillage ou des tenues mettant en valeur les formes de leur corps ». Le 13 juin, Darmanin a demandé au gouverneur d’intervenir, et de suspendre les activités de la mosquée si un sermon similaire se produisait. L’imam Mehdi a porté plainte contre le ministre de l’intérieur pour abus de pouvoir, après avoir déclaré sur les médias sociaux que son sermon était « adressé aux femmes musulmanes, et non aux femmes en général », et qu’il « parlait du libre choix dans la pratique religieuse ». Darmanin, à son tour, a confirmé sur son compte Twitter que les deux imams avaient été démis de leurs fonctions à sa demande. Certains défenseurs des droits de l’homme ont critiqué le ministre pour avoir ciblé les imams et avoir demandé aux gouverneurs de les licencier, car il semble que « les imams sont nommés par les gouverneurs en France ».
La controverse
Le débat sur le nouveau projet de loi a suscité d’importantes critiques quant au respect des droits de l’homme et des libertés fondamentales, notamment en ce qui concerne la communauté musulmane en France. Le leader d’extrême gauche Jean-Luc Mélenchon (président du groupe La France Insoumise), par exemple, a qualifié le projet de loi d’« antimusulman » et d’« antirépublicain ».
Le 29 mars 2021, avant le débat du Sénat sur le projet de loi, Amnesty International (AI) a publié une déclaration publique pour exprimer son inquiétude quant au manque de respect des droits et libertés fondamentaux par le projet de loi. Amnesty International a notamment mis en cause le concept vague d’« engagement républicain » avancé par la loi, qui pourrait conduire à des abus des libertés d’expression et d’association.
Amnesty International a formulé des suggestions pour éviter la discrimination religieuse, telles que l’allocation de fonds publics aux organisations « de manière non discriminatoire » et l’engagement à traiter équitablement les groupes et les individus qui ne partagent pas les positions du gouvernement en matière de religion. Amnesty International a également souligné que « la dissolution d’une organisation est l’une des restrictions les plus sévères du droit à la liberté d’association et ne devrait être imposée qu’en dernier recours, lorsqu’il existe un danger clair et présent résultant d’une violation flagrante de la loi » et que toute dissolution de ce type devrait être ordonnée par un tribunal (plutôt que par une autorité administrative).
Enfin, Amnesty International a fait valoir que si le gouvernement a justifié le projet de loi en mettant l’accent sur la lutte contre l’« islam radical », il n’a pas défini les notions d’« islam radical » ou de « séparatisme », et n’a pas fourni d’information ou de donnée justifiant l’accent mis sur ces phénomènes. À cet égard, Amnesty International rappelle que, pour se conformer au principe de non-discrimination, les autorités françaises doivent s’abstenir d’adopter des mesures susceptibles de porter atteinte, directement ou indirectement, à la protection juridique due à toute « religion ou conviction, origine ethnique, nationalité ou statut migratoire ».
Le projet de loi « anti-séparatiste » de Macron est considéré par beaucoup comme une tentative de séduire les électeurs de droite avant l’élection présidentielle de 2022 — qui, selon les analystes, se résumera probablement à un duel de second tour avec la candidate d’extrême droite Marine Le Pen. Compte tenu de ce qui précède, davantage de cas de sanctions contre des pratiques religieuses, abritées par la nouvelle loi, sont à prévoir dans les mois à venir.
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