Dilemmes parmi des professionnel·le·s de l’éducation populaire (Île-de-France, 2015-2021)

Par :

  • Lila BELKACEM, université Paris Est Créteil, LIRTES, Institut Convergences Migrations, Institut national d’études démographiques (INED)
  • Séverine CHAUVEL, université Paris Est Créteil, LIRTES, Institut Convergences Migrations
  • Francine NYAMBEK-MEBENGA, université Paris Est Créteil, LIRTES

Contexte

Telle qu’elle s’est forgée avec les lois de laïcisation scolaire dans les années 1880 et avec la loi de 1905 et sa jurisprudence, la laïcité s’articule autour de deux principes, la liberté de conscience et l’égalité des droits, et de deux moyens pour y parvenir : la séparation des Églises et de l’État, et la neutralité des institutions étatiques ainsi que des agents en mission de service public (Baubérot, 2015, p. 17-18). Cette construction juridique a toujours fait l’objet de conflits (Costa-Lascoux, 1996 ; Calvès, 2018), en particulier au sujet de l’expression des convictions religieuses dans l’espace public. Durant le premier siècle de son histoire, l’enjeu a résidé quasi exclusivement dans la gestion des relations entre l’État français et l’Église catholique (puis une partie des catholiques en France), la plupart du temps autour de « la question scolaire ».

Aujourd’hui, à l’instar de notions comme celle de la diversité, la laïcité est « fréquemment conçue comme une valeur en soi » et « renvoie à l’image d’une société composée d’éléments disparates assemblés harmonieusement » (Bereni, Jaunait, 2009, p. 7). Néanmoins, contrairement à la notion de diversité qui est décrite comme « un idéal à atteindre » (ibid.), la laïcité fait davantage figure d’un acquis à conserver, face aux transformations sociales des XXe et XXIe siècles, qui constitueraient, tantôt un défi, tantôt une menace pour les fondements de la République française. Ces usages discursifs de la laïcité renvoient à la construction, à partir des années 1980, de l’immigration et de l’islam en problèmes publics (Hmed, Laurens, 2008 ; Hajjat, Mohammed, 2013). À partir de la première « affaire du voile » à Creil en 1989, la laïcité est alors associée dans les discours à la visibilité de l’islam et des musulman·e·s dans l’espace public.

Les travaux sur cette question ont montré comment les défenseur·seuse·s d’une « nouvelle laïcité », laquelle consiste en « l’application du principe de neutralité religieuse à d’autres publics que les fonctionnaires de l’État » (Karimi, 2021), sont parvenu·e·s à mettre à l’agenda politique et médiatique le « problème de l’islam », et à associer la question de « la laïcité » à celle de « l’intégration » – ou plutôt du supposé « défaut d’intégration », du « danger communautariste », ou encore du « prosélytisme » – de certaines populations catégorisées comme « issues de l’immigration », en particulier musulmanes. Cette laïcité narrative a donné lieu à un changement de régime de la laïcité juridique, avec une restriction des libertés religieuses au-delà des seul·e·s agent·e·s en mission de service public : loi « sur les signes religieux dans les écoles publiques » (2004), « affaire de la crèche Baby Loup » (2008), loi « interdisant la dissimulation du visage dans l’espace public » (2010), «circulaire Châtel» concernant les accompagnateur·trice·s de sorties scolaires (2012), etc.

Objectif et enquête

Dans ce contexte, l’enjeu de cette recherche est d’analyser si et en quoi les mondes de l’éducation populaire1 sont traversés par les questions associées aujourd’hui à la laïcité et au fait religieux. Pour ce faire, nous avons placé la focale sur les professionnel·le·s et les bénévoles associatif·ve·s, afin de saisir ce qu’ils et elles font de « la laïcité » dans leurs pratiques quotidiennes, et dans quel sens celle-ci est susceptible d’affecter leur engagement.

Dans sa première phase, outre une analyse de la littérature grise, l’enquête empirique s’est construite en partenariat avec une fédération régionale qui avait mis en place, après les attentats de novembre 2015, un groupe de réflexion pour « cerner les conceptions et les pratiques de la laïcité » à l’œuvre dans le réseau. Dans un contexte où les références à la laïcité étaient nombreuses et plurielles, voire antagoniques (Baubérot, 2015), les membres de ce groupe espéraient concilier la promotion de la laïcité avec l’objectif d’une éducation populaire « inclusive », « ouverte à tou·te·s », « émancipatrice », « respectueuse des droits culturels ». Dans le cadre de ce partenariat, une enquête exploratoire par questionnaires a été réalisée auprès des salarié·e·s et des bénévoles du réseau, afin de saisir leurs discours, leurs représentations et leurs conceptions de la laïcité.

Par la suite, nous avons approfondi et élargi le questionnement en menant, entre avril 2017 et juillet 2019, une enquête ethnographique par entretiens et observations en région parisienne, auprès de professionnel·le·s et de bénévoles de cinq structures se réclamant de l’éducation populaire (une fédération, une maison des jeunes et de la culture (MJC), un centre social/MJC, et une maison des jeunes municipale). Dans chacune de ces structures aux profils contrastés, nous avons rencontré un spectre large d’acteur·trice·s aux fonctions diverses ( direction, animation, médiation, accueil, conseil d’administration, bénévoles, etc.). À cela s’ajoutent des observations menées entre mars 2018 et juillet 2019 (réunions d’équipe, conseils d’administration, etc.).

Le dernier volet de l’enquête a permis d’observer deux types de formations à la laïcité dispensées et/ou adressées à des professionnel·le·s et des bénévoles de l’éducation populaire, assurées par deux fédérations : quatre formations « Valeurs de la République et laïcité » et deux formations « Actions éducatives et principes républicains »2. À l’observation directe de ces formations se sont ajoutés des entretiens avec des formateur·trice·s et des stagiaires. Au total, 47 entretiens semi-directifs ont été conduits.

L’articulation de ces trois volets (enquête par questionnaires, enquête par entretiens et observations dans cinq structures, enquête par entretiens et observations dans le cadre de six formations professionnelles) nous a semblé particulièrement féconde pour observer « la laïcité » telle qu’elle se pense, se raconte et se pratique au sein des mondes de l’éducation populaire de la région parisienne aujourd’hui.

L’éducation populaire au cœur du problème public de la laïcité

Si au lendemain des attentats de janvier et novembre 20153, les mondes associatifs de l’éducation populaire ont fait l’objet d’une attention médiatique moindre que le monde scolaire, ils ont néanmoins très directement été impactés par les controverses publiques et les évolutions législatives récentes au sujet de la laïcité. Ceci à trois égards au moins. Le premier concerne la laïcité juridique, notamment avec la loi 2016-1088 du 8 août 2016 qui permet à un employeur de droit privé d’insérer dans son règlement intérieur, à certaines conditions, une clause de neutralité, c’est-à-dire à « limiter l’expression des convictions personnelles, notamment religieuses, des salariés4 ».

Le deuxième aspect concerne la laïcité narrative : dans les discours politiques et médiatiques, une responsabilité est attribuée au secteur associatif (dont les fédérations, les structures et les mouvements d’éducation populaire font partie) : au plus près des publics « populaires », celui-ci devrait avoir pour mission de participer à la défense et à la transmission des « valeurs de la République ».

Découlant de ce deuxième aspect, le troisième concerne le champ des politiques publiques. Après les attentats de 2015, Manuel Valls, alors Premier ministre, entend faire de « la laïcité » un rempart contre « l’islamisme radical » et « les sirènes du djihadisme ». Il charge le Commissariat général à l’égalité des territoires de concevoir un plan national de formation (« Valeurs de la République et laïcité ») à l’attention notamment des salarié·e·s et des bénévoles qui sont au contact direct des publics, en particulier dans les quartiers prioritaires de la politique de la ville (Epstein et al., 2022). Incluant les acteur·trice·s des mondes associatifs, cette formation est conçue en partenariat avec l’Observatoire de la laïcité, lequel défend alors des positions différentes de celles du Premier ministre5.

Les grandes fédérations d’éducation populaire ont rapidement été invitées à participer au déploiement de ce plan. Néanmoins, leur participation à ce dispositif étatique de formation à la laïcité, dans ce contexte national particulier, était aussi présentée par les cadres des fédérations rencontrées comme pouvant entrer en contradiction avec les valeurs portées par l’éducation populaire.

Conflictualités et dilemmes professionnels au sujet de la laïcité au quotidien

Cette préoccupation se retrouve dans tous les entretiens réalisés : aux yeux des professionnel·le·s, « la laïcité » entre aujourd’hui en tension avec les « valeurs de l’éducation populaire ». Les principes d’« ouverture à tou·te·s » et d’« émancipation par l’éducation » sont décrits comme le cœur et le sens de leur engagement.

Les personnes rencontrées se disent alors confrontées à une situation rendant complexe la mise en œuvre de ces deux grands principes : la « laïcité » leur semble une question imposée de l’extérieur, particulièrement sensible parce qu’elle fait peser un risque de stigmatisation et de discrimination sur les musulman·e·s, et révèle des inégalités sociales et ethnoraciales plus larges au sein de la société française en général, et du monde associatif en particulier. Plusieurs enquêté·e·s en sont d’ailleurs particulièrement conscient·e·s et évoquent la structuration du champ de l’éducation populaire et la distance sociale et symbolique qui sépare souvent, dans les associations, d’un côté les publics et les animateur·trice·s (lesquel·le·s font l’expérience de la minoration sociale et ethnoraciale6), et de l’autre côté les cadres et les bénévoles administrateur·trice·s (qui sont plus souvent originaires des classes moyennes voire supérieures, et qui ne font pas l’expérience de la minoration ethnoraciale). Face à cette situation, les enquêté·e·s insistent sur l’importance de préserver l’autonomie de l’éducation populaire pour se protéger de lectures imposées de la laïcité (par l’État, les élu·e·s locaux, parfois les bénévoles), et pour défendre ces deux principes décrits comme fondamentaux. Cette aspiration à l’autonomie les conduit à souhaiter une régulation des questions de laïcité non pas par le haut ou l’extérieur, mais au sein même des structures associatives.

Néanmoins, l’application concrète des principes d’inclusion et d’émancipation s’avère plus complexe qu’il n’y paraît, et les entretiens révèlent des « dilemmes professionnels » (Ravon et Vidal-Naquet, 2016 et 2018), des « épreuves (émotionnelles, organisationnelles, politico-éthiques) » (Ravon et Vidal-Naquet, 2018, p. 79) et des conflictualités concernant l’acceptation – ou non – des « signes d’islam » 7 au sein des structures associatives. Si la pratique religieuse des publics fait l’objet d’une acceptation relativement partagée (par exemple quand il s’agit d’adapter l’agenda associatif à la période du ramadan, ou encore de proposer des repas sans porc lors d’événements festifs), les signes d’islam sont bien plus souvent et fortement perçus comme problématiques lorsqu’ils proviennent des professionnel·le·s, en particulier des salariées portant ou souhaitant porter le «voile». Il semble que les discussions en conseil d’administration, au bureau, ou bien plus étroitement entre la direction et le ou la professionnel·le concerné·e donnent généralement lieu à des arrangements. Néanmoins, des pratiques de discrimination perçues comme plus ou moins légitimes sont rapportées. Des seuils d’acceptabilité – et de non- acceptabilité – se dessinent alors, et les personnes concernées, en particulier les professionnelles « voilées », sont invitées à (r)assurer les directions et les conseils d’administration de leur posture « éclairée », « distanciée », « éducative », vis-à-vis de leurs propres croyances et pratiques religieuses.

Cela amène à poser la question des regards portés sur ces expériences par les personnes musulmanes et (susceptibles d’être) perçues comme telles. Ces dernières ne semblent pas toujours plus ouvertes aux signes d’islam ; et, comme leurs collègues, leurs pratiques peuvent parfois relever de la discrimination pour motif religieux. Pour comprendre ce phénomène, il est nécessaire d’analyser leur quotidien professionnel, marqué par des expériences de minoration religieuse et ethnoraciale qui les amène parfois à être soupçonné·e·s de « préférence communautaire », ou plus largement d’illégitimité, voire de déloyauté. En cela, les pratiques consistant à refuser l’embauche à « une femme voilée », par exemple, peuvent être analysées comme une manière de « composer avec le racisme » (Cognet et Eberhard, 2013), et témoignent d’un très fort contrôle de soi des personnes minorisées.

Les formations à la laïcité ou la régulation des pratiques par le droit

Face à ces épreuves, ces dilemmes et ces conflictualités professionnelles, les formations à la laïcité observées, auxquelles participent des bénévoles et des professionnel·le·s des structures enquêtées en tant que formateur·trice·s ou stagiaires, peuvent être analysées comme un « travail d’accordage » (Ravon, 2012) des pratiques liées à « la laïcité » et au fait religieux dans les « mondes de l’éducation populaire ». Ce travail de régulation est loin d’aller de soi. Les formations observées, en accordant une place importante à la parole des stagiaires, constituent des lieux d’expression de ce qui leur « pose problème » concernant les religions en général, et surtout l’islam en particulier. En formation, « la laïcité est [alors] l’objet d’une intense lutte symbolique où [les acteur·trice·s] cherchent à imposer leur propre définition, qui dépend généralement de leur diagnostic du “problème musulman” » (Beaugé, Hajjat, 2014, p. 48). Comme dans les débats publics, des conceptions divergentes de la laïcité s’opposent, lesquelles se cristallisent autour de la question de l’extension du principe de neutralité religieuse aux salarié·e·s des associations enquêtées, voire parfois à leurs publics.

Dans ce cadre, les formations « Valeurs de la République et laïcité » visent à ce que les stagiaires acquièrent une capacité de jugement et d’action fondée sur le droit, dans une optique de gestion des conflits et de connaissance du cadre juridique en matière de laïcité et de non-discrimination. Ce choix de la formation de privilégier un « refroidissement par le droit » amène à mettre principalement l’accent sur le cadre forgé par les lois de laïcisation scolaire et la loi de séparation des Églises et de l’État. Cette perspective permet à certains moments de signifier les stigmatisations et les discriminations vécues par les musulman·e·s sans en faire un objet de formation explicite. En cela, ces formations peuvent être analysées comme un dispositif de sensibilisation à un antiracisme discret, qui ne dit pas explicitement son nom. Cette socialisation d’une génération de professionnel·le·s et de bénévoles de l’éducation populaire nous semble introduire un espace de régulation collective par le droit (Chappe, 2011), espace qui est décrit comme une ressource majeure par certain·e·s enquêté·e·s, en particulier les salarié·e·s faisant l’expérience de la minoration religieuse, lesquel·le·s disent « plus armé·e·s » pour « se défendre » face aux situations qu’ils et elles vivent sur leur lieu de travail.

Néanmoins, pour une partie des stagiaires, la formation amène certes à une prise de conscience de l’illégalité de leurs pratiques (notamment l’interdiction du port du voile à des salariées), mais ne contribue pas à changer leur regard sur ces pratiques, qu’ils et elles continuent à évaluer comme légitimes compte tenu de leur propre conception de la laïcité et des faits religieux, et de leur propre diagnostic sur le supposé « problème musulman ». Ils et elles semblent alors hésiter entre une posture d’exit (défection) et une posture d’appropriation du droit (en appelant par exemple à inscrire les activités de leur structure dans le cadre d’une délégation de service public, ce qui permettrait d’imposer la neutralité aux salarié·e·s de la structure). En cela, le parti pris de la formation « Valeurs de la République et laïcité », qui nous semble être celui d’apaiser les tensions et de garantir le principe de liberté d’expression dans l’espace public (y compris pour les salariés de droit privé), semble comporter deux écueils. Premièrement, l’islam et le voile y prennent une place centrale sans qu’aucun apport de cours (en histoire, en sociologie ou en science politique par exemple) ne permette de comprendre pourquoi. Deuxièmement, la loi de 1905 est décrite comme la référence principale alors que le droit évolue depuis vingt ans dans le sens d’une plus grande restriction des libertés religieuses, ce qui a contribué à un changement de régime de la laïcité juridique. Nos observations rejoignent ainsi celles de Renaud Epstein, Carole Gayet-Viaud et Alice Simon (2022) : une « occultation impossible du problème public de l’islam, de la nouvelle laïcité et de ses usages politiques». Quelques formateur·trice·s expriment d’ailleurs cette réserve et intègrent dans leur formation une approche critique du droit, informée en particulier par l’histoire et la sociologie du racisme, de la construction de l’immigration et de l’islam en problèmes publics.

Ainsi, notre recherche révèle à quel point la question de la laïcité et des signes d’islam engendre aujourd’hui des « épreuves de professionnalités », entendues « au double sens d’éprouver une situation difficile et de faire la preuve de ses capacités à faire face » (Ravon, 2009a, p. 62 ; voir également Ravon, 2010 ; Ravon et Vidal-Naquet, 2016 et 2018). Ces épreuves professionnelles interrogent sur l’autonomie et le devenir des mondes de l’éducation populaire.

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1 L’éducation populaire est ici entendue au sens d’« action éducative qui prétend toucher principalement les milieux populaires et qui entend agir sur l’individu hors de l’école pour transformer la société » (Besse, 2010, p. 270). Cette définition ne doit néanmoins pas faire oublier la difficulté à définir ce terme, dont les usages varient. L’éducation populaire française a une longue histoire et est composée de mouvements, fédérations, organisations, associations, etc., qui se caractérisent par une forte hétérogénéité. L’expression « mondes de l’éducation populaire » permet alors de souligner la diversité et l’hétérogénéité des structures pouvant en relever. Les travaux récents montrent par ailleurs que l’éducation populaire vit des transformations particulièrement fortes de ses pratiques et ses projets politiques.

2 Dans ce rapport, à l’exception du plan de formation « Valeurs de la République et laïcité », les noms des personnes, des structures, des dispositifs et des lieux sont anonymisés.

3 Précisons que l’enquête s’est déroulée avant la promulgation de la loi du 24 août 2021 « confortant le respect des principes de la République» (connue médiatiquement comme «loi contre le séparatisme»), qui concerne directement les associations bénéficiant de subventions publiques ou d’un agrément de l’État.

4 Ministère du travail, du plein emploi et de l’insertion, Guide pratique du fait religieux dans les entreprises privées (version employeurs), mise à jour janvier 2023.

5 Ces oppositions ont donné lieu à des conflits importants, relayés dans la presse nationale. Voir par exemple l’article publié le 20 janvier 2016 sur le site de France info : « Valls et Bianco s’écharpent au sujet de la laïcité : la polémique en cinq actes » [en ligne].

6 Nous reprenons la définition proposée par Solène Brun et Juliette Galonnier (2016) : « Ce qui fonde prioritairement la minorité n’est pas tant un sentiment d’appartenance commune ou d’infériorité numérique au sein d’une société, qu’un processus d’essentialisation et d’infériorisation des individus. La minorité ainsi comprise est indissociable de la notion de minoration, en tant qu’assignation à une “identité subalterne”. Par identité subalterne, nous nous référons au sens qu’ont donné à cette notion les auteur·e·s des Subaltern Studies qui, après Gramsci, la définissent comme fondée par l’existence d’une subordination, qu’elle soit de classe, de caste, d’âge, de genre, de race, de langue ou de culture (Guha, 1982). La subalternité est pensée en tant que position relationnelle dans une relation de pouvoir : cette notion permet donc de clarifier celle de minorité, en ce qu’elle évacue la question de la taille des groupes et s’attache à celle des rapports de pouvoir. »

7 Nous partons de l’expression « demandes d’islam » forgée par Nathalie Kakpo (2007) pour désigner « les mobilisations individuelles ou collectives qui s’appuient de manière explicite sur le référent musulman » (p. 126), et l’élargissons aux « signes d’islam », qui désignent plus largement les marqueurs, les pratiques et les discours des personnes catégorisées et susceptibles d’être catégorisées comme musulmanes, lorsque ces marqueurs, ces pratiques et ces discours sont interprétés par ces personnes et par d’autres comme des signes de leur religiosité.