11 mai 2023 | Newsweek

En Inde, un lien unique se forme entre de nombreux chrétiens, musulmans et hindous, tous aspirant à un objectif commun : l’abolition des lois anti-conversion contre-productives et le harcèlement qui en découle de la part des extrémistes de droite et des autorités locales dans tout le pays.

Les dirigeants de chacune de ces confessions ont déposé de nombreuses pétitions auprès de la Cour suprême de l’Inde, contestant les tentatives de certains politiciens nationalistes d’imposer des restrictions illogiques aux pratiques religieuses dans un pays dont la diversité du tissu religieux est un secret de sa brillance. Le banc du président de la Cour suprême a accordé la liberté sous caution à des dizaines de travailleurs chrétiens poursuivis dans l’État de l’Uttar Pradesh en vertu de lois anti-conversion.

De nombreux analystes de divers horizons religieux ont affirmé que ces lois anti-conversion ciblent spécifiquement les chrétiens et sont politiquement motivées pour galvaniser un électorat anti-chrétien intransigeant. Il est clair que dans certains cas, cette réalité est indiscutable. Mais est-ce ainsi que l’on construit une nation, en semant la suspicion à l’encontre d’une communauté religieuse par le biais d’une propagande mensongère ?

Certains sont certainement pris dans l’élan, et ce sont eux qui reviennent de plus en plus à la raison. Ils voient une réalité claire : Les lois anti-conversion ne sont pas la solution pour une société multiconfessionnelle. Le respect mutuel de toutes les religions est nécessaire pour maintenir l’unité de l’Inde.

D’une part, ces lois renforcent le système indien des castes en ciblant particulièrement les pauvres, les basses castes et les Dalits, empêchant ainsi leur émancipation d’une hiérarchie sociale oppressive. Malheureusement, après des siècles d’injustice, peu de dirigeants des castes supérieures au pouvoir osent remettre en question ce système injuste par crainte d’un retour de bâton. Pourtant, les lois indiennes contre l’intouchabilité existent depuis 75 ans. Malgré cela, des millions de Dalits et d’individus de basse caste sont victimes de discrimination de la part des castes supérieures.

C’est là que les injustices subies par les Dalits se croisent avec les lois anti-conversion.

Les lois anti-conversion affectent les chrétiens différemment des autres communautés en Inde pour diverses raisons. Ces dernières années, les propos haineux et les agressions physiques à l’encontre des chrétiens ont considérablement augmenté, et la plupart des lois anti-conversion visent spécifiquement les chrétiens.

Des personnes de basse caste et des femmes de diverses castes ont trouvé un réconfort spirituel dans le christianisme, souvent sans se convertir. Ils trouvent en Jésus la réponse à leurs aspirations humaines les plus élevées. Le christianisme est une foi qui appelle la société à élever les opprimés, les pauvres et les malades. Cet enseignement encourage une partie de la société qui se sent piégée par le destin.

Cela ne veut pas dire que le christianisme indien n’est pas exempt de défauts.

Certains chrétiens issus des castes supérieures continuent d’adhérer eux-mêmes au système des castes, en contradiction avec les enseignements du Christ, et – bien que rarement – certains chrétiens ont eu recours à des tactiques inacceptables principalement importées de la culture occidentale.

Pourtant, dans la plupart des États indiens dotés de ces lois anti-conversion obscures, peu de chrétiens, voire aucun, ont été condamnés par un tribunal pour s’être livrés à des conversions forcées et trompeuses. Entre-temps, les enseignements chrétiens sur la bonne nouvelle de Jésus sont redécouverts en Inde, inspirant la vie des citoyens des castes inférieures et supérieures, quelle que soit leur identification religieuse.

Les partis politiques au pouvoir ont profanement déguisé leurs lois anti-chrétiennes et anti-conversion en lois sur la “liberté de religion”. Mais les partis au pouvoir ne sont pas les seuls à blâmer. Le parti d’opposition, le Congrès, a également permis aux États indiens d’élaborer de telles lois.

Les musulmans sont également touchés par ces lois d’une manière distincte, car les allégations de “djihad de l’amour” ont conduit à des restrictions sur les mariages interconfessionnels. Par conséquent, les jeunes couples amoureux doivent demander au gouvernement l’autorisation de se marier, ce qui les oblige souvent à fuir leur ville d’origine ou à faire face à des répercussions violentes.

Il est temps que le gouvernement indien fasse marche arrière et investisse son énergie ailleurs, en commençant par la célébration de la diversité religieuse de l’Inde.

Je peux parler au nom des chrétiens de l’Inde sur un point : les chrétiens indiens n’ont aucun programme politique visant à convertir les États indiens ou la nation en territoires “chrétiens”. Notre objectif est plutôt d’incarner l’amour du Christ dans tous les aspects de la vie, en embrassant la richesse de la culture hindoue sans exiger des individus qu’ils abandonnent leur identité culturelle unique. Nous revendiquons notre liberté constitutionnelle de prendre soin des personnes sans distinction de religion ou de caste.

La Cour suprême de l’Inde, dirigée par le juge en chef Dhananjaya Y. Chandrachud, a l’occasion de faire respecter la Constitution et de sauvegarder le droit de l’individu à la liberté de religion. Le fait d’avoir besoin de l’autorisation d’un magistrat pour choisir sa foi constitue une violation manifeste de leurs droits.

En outre, la Cour devrait redéfinir clairement ce qui constitue des conversions frauduleuses ou manipulatrices, car les lois existantes, dont la terminologie n’est pas claire, ne font que contribuer à la confusion et, parfois, à des conflits violents. Il est essentiel de veiller à ce que les différentes confessions en Inde ne soient pas considérées comme mauvaises à moins qu’elles n’incitent à la haine ou à la violence contre d’autres religions.

La Cour suprême de l’Inde pourrait renforcer les codes pénaux existants afin que les conversions manipulatrices – s’il en existe – soient traitées conformément à la loi. Mais elle ne peut pas ignorer la liberté de religion inscrite dans la constitution démocratique de l’Inde.


L’archevêque Joseph D’Souza estun militant des droits de l’homme et des droits civils de renommée internationale. Il est le fondateur de Dignity Freedom Network, une organisation qui défend les intérêts des marginaux et des exclus d’Asie du Sud et leur apporte une aide humanitaire. Il est archevêque de l’Église anglicane du Bon Pasteur d’Inde et président du Conseil chrétien de l’Inde.

Les opinions exprimées dans cet article sont celles de l’auteur.