22 mars 2023 | Massimo Introvigne | Bitter Winter
Ces derniers mois, le Japon est devenu le principal théâtre, du moins en ce qui concerne les pays démocratiques, du conflit entre les États cherchant à limiter la liberté de religion ou de croyance et les défenseurs de la liberté religieuse.
Le 8 juillet 2022, le fils d’une membre de l’Église de l’Unification, pensant que sa mère avait été ruinée par ses dons excessifs à ce groupe religieux, a assassiné l’ancien Premier ministre japonais Shinzo Abe. Le tueur a prétendu vouloir punir Abe pour sa participation à des événements parrainés par une organisation liée à cette Église (aujourd’hui appelée Fédération des familles pour la paix mondiale et l’unification). Au lieu de blâmer l’assassin, la plupart des médias japonais ont lancé une attaque sans précédent contre l’Église de l’Unification, se fondant sur l’étrange argument selon lequel, si la mère du tueur n’avait pas fait de dons au mouvement, son fils n’aurait pas assassiné Abe. Des mesures ont été prises pour enquêter sur la Fédération des familles afin de la priver de son statut de religion, et des lois imposant des limites aux dons religieux ou permettant leur annulation ont été adoptées.
L’une des conséquences les plus préoccupantes de cette campagne est un document publié à la fin de l’année 2022 par le ministère de la Santé, du Travail et des Affaires sociales. Il comporte des directives envoyées à toutes les administrations locales du Japon sous le titre « Questions-réponses sur le traitement de la maltraitance des enfants ou de cas semblables liés aux croyances religieuses ou similaires. » À la différence des mesures législatives contre les dons aux religions, ce texte a échappé à l’attention de la plupart des observateurs étrangers, à l’exception d’un bon article publié le 7 janvier 2023 dans le Financial Times par son rédacteur en chef des affaires asiatiques, Leo Lewis.
Lewis commente que, « dans sa précipitation à promulguer une loi, le Japon a fait l’impasse sur des questions théologiques particulièrement nuancées et a créé des problèmes potentiels pour un cercle d’organisations et d’activités beaucoup plus large qu’il ne l’avait prévu. » Notant que les directives peuvent également affecter « les principales religions du Japon, le shintoïsme et le bouddhisme, et même l’importante présence chrétienne », il suggère que « le contrecoup politique pourrait être plus grave que celui qu’il était censé éviter ».
De quoi s’agit-il ? Comme l’a compris Leo Lewis, ces directives « ont dans leur ligne de mire l’Église de l’Unification » et sont conçues pour « la briser ». Toutefois, ceux qui les ont rédigées ont également tenu compte des attaques perpétrées après l’assassinat d’Abe contre les Témoins de Jéhovah et les groupes chrétiens conservateurs.
Le point de départ des directives peut sembler bien intentionné. Elles indiquent que la maltraitance des enfants n’est jamais tolérable et que la liberté religieuse ne peut servir d’excuse à ses auteurs. Je suis d’accord. Mais le document devient problématique lorsqu’il tente de définir la maltraitance dans un contexte religieux ou spirituel. Le premier cas indiqué est celui des « violences physiques ». Il rappelle aux administrations locales que les punitions corporelles sont illégales au Japon et ne sont pas justifiables par des considérations religieuses. Ce point est moins évident qu’il n’y paraît ; il a donné lieu à d’importants contentieux juridiques en Allemagne et ailleurs, où des groupes chrétiens conservateurs affirment que les châtiments corporels légers sont prescrits par la Bible. Néanmoins, il existe désormais des dispositions similaires dans la plupart des pays démocratiques.
Il est moins habituel de déclarer que le fait d’emmener des enfants à des offices religieux où on leur demande « de ne pas bouger pendant une longue période » ou de « faire des mouvements ou garder des postures spécifiques, comme des prosternations », équivaut également à des violences physiques. On peut certes imaginer des excès dans ce domaine, mais à l’exception de la République populaire de Chine, où il est interdit aux moins de 18 ans d’assister à des offices religieux, il est courant pour des mineurs de participer à des activités religieuses où ils sont censés rester assis ou faire des génuflexions ou des prosternations à certains moments de l’office ; cela fait partie intégrante de leur formation à la religion de leurs parents.
Ce qui est vraiment nouveau dans la directive, c’est la définition d’une « maltraitance psychologique » à caractère religieux. Il faut entendre par là « obliger les enfants à participer à des activités religieuses ou similaires » ou inciter les mineurs à certains comportements spécifiques en les « menaçant avec des paroles comme ‘si tu ne fais pas ceci ou cela, tu iras en enfer’ » ou « avec des images ou des contenus pouvant susciter la peur ».
C’est peut-être moins à la mode aujourd’hui, mais les chrétiens de ma génération s’en souviennent, les prêtres faisant le catéchisme catholique ou les pasteurs à l’école du dimanche protestante disaient bien aux enfants que les pécheurs allaient en enfer. Mes parents l’ont fait aussi. En ce qui concerne les « images ou contenus pouvant susciter la peur », la disposition semble impliquer que la « Divine Comédie » de Dante, avec ses représentations explicites de l’enfer, sera interdite aux mineurs au Japon ; de même, les agences de voyage japonaises devront éviter d’emmener les familles avec des mineurs visiter le célèbre cimetière médiéval de Pise, ou les innombrables cathédrales européennes dont les fresques ou les peintures montrent comment les démons tourmentent les pécheurs dans l’au-delà (les représentations bouddhistes des enfers froids ne sont pas moins terrifiantes).
Il est également interdit, en tant que « maltraitance psychologique » à caractère religieux, d’empêcher les mineurs de « socialiser avec leurs amis d’une manière généralement acceptée par la société », de les tenir à l’écart des fêtes d’anniversaire (ce que seuls les Témoins de Jéhovah font parmi les religions actives au Japon), ou encore de les priver de bandes dessinées, de dessins animés ou de jeux vidéo « considérés comme adaptés à l’âge des enfants en fonction de leur acceptation générale dans la société ». Ce point peut sembler mineur, mais il trahit le raisonnement général de la directive, à savoir que les personnes religieuses n’ont pas le droit de transmettre à leurs enfants un mode de vie différent de celui qui est « généralement accepté dans la société ». De toute évidence, de nombreuses religions enseignent que ce qui est « généralement accepté » par la majorité est en fait moralement décadent ou inacceptable.
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