11 janvier 2022 | Collonges-sous-Salève, France | John Graz | CILRAP
C’était le 14 décembre. En quelques mots, Daniele Beach, la fille de Bert et d’Éliane venait de m’annoncer le décès de son papa. Bien sûr, ce ne fut pas une surprise, mais quand un être aimé auquel tant de souvenirs nous attachent s’en va, la tristesse, voire la peine, est toujours présente. Et puis Bert était de ceux qui malgré les années qui passent, on imagine mal qu’ils puissent nous quitter un jour.
Bert et Éliane, ont non seulement fait partie de nos plus beaux moments passés aux USA, mais de notre vie.
Ils nous ont accueillis à notre arrivée à l’aéroport de Washington Dulles en 1995. L’assemblée de la Conférence générale m’avait élu à sa position. Lui, partait à la retraite sans vraiment être pressé de faire le pas. Il aurait pu continuer comme directeur du département des Affaires publiques et de la liberté religieuse pendant cinq années supplémentaires. Mais, sa première réaction fut de venir me féliciter et de me proposer sa collaboration. Une collaboration qui dura plus de cinq années. Il m’introduit dans le cercle fermé des dirigeants chrétiens et auprés de ses nombreuses relations. Je savais pouvoir compter sur lui. Le fait qu’il parlait et aimait parler français me facilita tellement les choses, surtout les premières années.
Par un heureux hasard nous étions nés tous les deux sur les rives du lac de Genève et tous les deux avions passé notre doctorat à l’université de la Sorbonne à Paris.
Sans Bert et Éliane les 20 années que nous avons passé aux USA auraient été tellement différentes.
Bert a été non seulement mon modèle, mais un maître auprès duquel j’ai tant appris. Grâce à lui et pendant des années à ses côtés, nous avons pu assurer une continuité dans les activités inter-confessionnelles et donner une nouvelle jeunesse à l’Association internationale pour la liberté religieuse. Il m’a superbement introduit au sein de la Conférence des Secrétaires des communions chrétiennes mondiales. Son soutien a été décisif pour mon élection au poste de Secrétaire général. Une responsabilité qu’il avait occupée avec brio pendant 32 années. Pour ce prestigieux groupe, composé des secrétaires généraux des église chrétiennes mondiales, Bert était la référence et aussi l’histoire. De Canterbury à Rome, de Genève à Istanbul, il était connu et apprécié par tous. Son humour, son franc parlé, sa fidélité à son Eglise, la précision de son vocabulaire et sa capacité de changer de langues lorsqu’il s’adressait à des dirigeants provenant de différentes régions du monde, surprenait, émerveillait.
Il quittait l’anglais, langue de travail, pour s’adresser en français à un dirigeant francophone, puis en allemand à un autre et s’il le fallait, en italien. Comme si cela n’était pas suffisant il parlait aussi le Suisse allemand, que peu parvenaient à comprendre. Avec lui tout le monde se sentait à l’aise.
Lorsqu’à la fin d’une réunion, il me présenta au dirigeant d’une Église comme son remplaçant, ce dernier lui répondit en riant : Bert tu n’est pas remplaçable.
Beaucoup l’ont entendu parler en public, intervenir dans les assemblées, les comités. Il était précis, éloquent. Il ne parlait pas pour ne rien dire et ce qu’il disait avait de l’importance.
Il aimait prendre la parole au cours des diners officiels, pour féliciter les organisateurs, pour présenter les invités. Je me souviens en particulier du diner à Oslo à la table du ministre et de l’évêque luthérien, un de ses amis. Je me souviens également de celui offert par l’archevêque de Canterbury à Londres. Un participant anglican, présenta Bert comme l’adventiste le plus High Church.
Bert se levait, prenait un verre vide, frappait quelques coups avec le couteau où la fourchette. C’était suffisant pour que le silence s’impose. On chuchotait dans l’assemblée : Beach va dire quelque chose ! Puis, lorsque tous les regards étaient orientés dans sa direction, il commençait à parler avec calme et autorité. Je savais qu’il y aurait de l’humour, des mots gentils et peut-être une où deux remarques que certains n’auraient pas de mal à décrypter. Comme par exemple, après avoir présenté l’éditeur d’une revue, il ajoutait que ce dernier était très occupé car : il n’avait pas encore répondu à mon message envoyé depuis plusieurs semaines.
Ses interventions étaient tout sauf banales.
Avoir été à ses cotés pendant des années, et avec lui, avoir rencontré des dirigeants de premier plan fut un privilège inestimable. J’ai vu le respect qu’il suscitait chez tous. L’autorité naturelle que ses pairs, leaders des grandes, comme des petites Églises, lui accordaient, était impressionnante.
Tant de souvenirs, me reviennent en mémoire, comme par exemple notre visite à Madrid, en Espagne. Nous étions reçus comme des ambassadeurs, par des amis au gouvernement. Amis avec lesquels nous sommes toujours en relations. Et comment ne pas mentionner ce diner à la table du Patriarche oecuménique de Constantinople. Le numéro 1 dans la hierarchie protocolaire des églises orthodoxes et le deuxième personnage du monde chrétien. Bert lui raconta ses rencontres avec son prédécesseur. Aurour de la table tous l’écoutaient. Un moment donné le patriarche se lèva en présentant sa coupe de champagne. Mon voisin me fit signe de l’imiter. Pour éviter un incident diplomatique, je pris le verre qui était devant moi et le levai sans boire le contenu.
Bert se trouvait assis en face de moi. D’un oeil je l’observais. Mais au moment où tous burent le champagne, il avait disparu. Je crois qu’il attachait les lacets de sa chaussure sous la table. Trop occupé de suivre les gestes du patriarche, personne n’avait noté sa disparition.
Pour toutes ces personnalités du monde religieux et politiques Bert était un personnage hors du commun. Il transcendait les barrières confessionnelles et plus encore il était leur ami.
Ami des grands, il savait mettre chacun à l’aise quelque soit son rang où sa langue. Jeune où vieux, riche où pauvre, il avait toujours un mot, une expression qui détendait l’atmosphère et qui faisait de lui quelqu’un qu’on n’oublie pas, quelqu’un d’unique.
Bert fait partie des gens que nous aurons un grand plaisir à retrouver lorsque le Seigneur, qu’il aimait et servait avec passion, en aura ainsi décidé. Il s’en est allé. Il laisse un grand vide. Sa présence va terriblement manquer à Éliane sa chère épouse, à ses enfants et petits enfants qu’il aimait tant et à nous tous. Mais son souvenir est si fort qu’il les accompagnera, qu’il nous accompagnera jusqu’au bout de notre chemin.
John Graz
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