Circulaire du ministère de l’Intérieur du 20 décembre 1999 relative à la lutte contre les agissements répréhensibles des mouvements sectaires

Ministère de l’intérieur, Direction des libertés publiques et des affaires juridiques, Sous-direction des libertés publiques et de la police administrative

Le ministre de l’intérieur
à
Mesdames et Messieurs les Préfets
(Métropole et Outre-mer)
Monsieur le Préfet de Police

OBJET : Lutte contre les agissements répréhensibles des mouvements sectaires.

REFER. :
Circulaire ministérielle du 7 novembre 1997.
Décret n° 98-890 du 7 octobre 1998, paru au Journal officiel du 9 octobre 1998, instituant une mission interministérielle de lutte contre les sectes.

RESUME : La présente circulaire, qui rappelle les instructions ministérielles du 7 novembre 1997, insiste d’une part sur le rôle de coordination du préfet au plan départemental et apporte d’autre part des précisions tant sur les réponses que les préfectures peuvent donner aux associations qui contestent leur qualification sectaire que sur les compétences des préfets en matière d’enregistrement d’associations cultuelles.
La circulaire citée en référence, a fixé des principes devant guider votre action dans la lutte contre les agissements répréhensibles des mouvements sectaires.
Votre attention a été particulièrement appelée sur la nécessité de coordonner les actions des services déconcentrés des administrations de l’Etat, dans votre région et dans votre département et de favoriser les échanges d’informations entre les administrations qui ont vocation à connaître des questions liées au phénomène sectaire.
L’objet de la présente circulaire est d’une part, de rappeler la place des préfets dans le dispositif de lutte contre les agissements répréhensibles des mouvements sectaires et d’autre part, d’apporter des précisions sur les compétences préfectorales en matière d’associations cultuelles.

I -LA PLACE DES PREFETS DANS LE DISPOSITIF DE LUTTE CONTRE LES AGISSEMENTS REPREHENSIBLES DES MOUVEMENTS SECTAIRES

A -Le dispositif de lutte contre les agissements répréhensibles des mouvements sectaires

Instituée par le décret n° 98-890 du 7 octobre 1998 en remplacement de l’observatoire interministériel sur les sectes et présidée par M. Alain VIVIEN, la mission interministérielle de lutte contre les sectes (MILS) est chargée d’analyser le phénomène des sectes ; d’inciter les services publics à prendre les mesures appropriées pour prévoir et combattre les actions des sectes qui portent atteinte à la dignité de la personne humaine ou qui menacent l’ordre public ; de contribuer à l’information et à la formation des agents publics sur les méthodes de lutte contre les sectes ; d’informer le public sur le danger que présente le phénomène sectaire ; de participer aux réflexions et travaux concernant les questions relevant de sa compétence qui sont menés dans les enceintes internationales.
Cette instance interministérielle compte en son sein un conseil d’orientation ainsi qu’un groupe opérationnel. Chacun des huit ministères représentés a désigné un ou des correspondants, interlocuteur privilégié de cette instance interministérielle. Le ministère de l’intérieur y est représenté par le directeur général de la police nationale et par le directeur des libertés publiques et des affaires juridiques, qui participent tous deux, aux travaux du groupe opérationnel.
C’est donc le représentant du ministère de l’intérieur au groupe opérationnel qui est le plus à même d’apporter aux préfectures des informations ou de leur demander des renseignements. Si c’est ainsi à titre exceptionnel que la MILS aura des relations directes avec les préfectures, il convient, en revanche, d’associer systématiquement celle-ci aux réunions que vous organiserez avec les administrations concernées. Vous lui adresserez donc dans un délai raisonnable, copie des convocations.

B – La place des préfets au sein de ce dispositif

Représentant de l’Etat dans le département et à ce titre chargé de la conduite et de la cohérence des actions de l’Etat, il vous appartient, conformément à mes instructions du 7 novembre 1997, de coordonner les actions des services déconcentrés des administrations de l’Etat dans votre région ou dans votre département, qui ont vocation à connaître des questions liées au phénomène sectaire. Il vous appartient également de prendre, dans le respect des libertés fondamentales, des initiatives dans le domaine concerné.
A cet égard, je vous rappelle que l’Etat, respectueux de la liberté de pensée et de la liberté d’association, doit se mobiliser contre les actions contraires à l’ordre public ou attentatoires aux libertés publiques que certains mouvements sectaires peuvent commettre.
Dans le cadre de la lutte contre ces agissements répréhensibles, certains départements ministériels ont entrepris, au niveau régional ou départemental, des actions spécifiques (constitution d’un réseau de correspondants en charge du dossier « associations coercitives à caractère sectaire » dans les directions régionales de la Jeunesse et des Sports, désignation d’un correspondant « sectes » au Parquet Général et institutionnalisation autour du Procureur Général de réunions de concertation et de coordination des services déconcentrés de l’Etat concernés par le phénomène sectaire).
Afin d’éviter le risque d’émiettement de l’action de l’Etat dans ce domaine et sans remettre en cause ces actions spécifiques des autres départements ministériels, j’insiste particulièrement sur l’intérêt qui s’attache à ce que vous veilliez personnellement à animer la « cellule » de lutte contre les agissements répréhensibles des mouvements sectaires.
En ce qui concerne cette cellule, son rôle et sa composition, vous voudrez bien vous reporter à la circulaire du 7 novembre 1997. Je vous demande de réunir cette cellule autant de fois que nécessaire, et au moins deux fois par an. Ses travaux, auxquels vous ne manquerez pas d’associer la MILS, doivent donner lieu à un compte rendu.

II – LES REPONSES QUE LES PREFECTURES DOIVENT APPORTER AUX QUESTIONS DES ASSOCIATIONS

A – Les contestations de la qualification « sectaire » donnée à certaines associations

Mon attention est régulièrement appelée sur les contestations dont vous êtes saisis de la part d’associations qui récusent leur qualification sectaire par les différents rapports parlementaires. A cet égard, vous pourriez utilement répondre qu’il n’appartient pas à l’Etat de faire diligenter des enquêtes afin d’établir l’honorabilité de telle ou telle association et qu’il n’appartient pas davantage au Gouvernement d’apprécier les critères qui ont guidé une commission parlementaire dans sa réflexion.
Ces rapports parlementaires ne constituent qu’un élément d’information et de proposition, ils ne prétendent pas avoir valeur normative et ne sauraient fonder ni des distinctions entre les associations qualifiées de « sectaires » et celles qui ne le sont pas au regard desdits rapports ni des sanctions quelconques. Tant qu’une association ne fait pas l’objet d’une dissolution administrative ou judiciaire, elle jouit des libertés constitutionnellement reconnues et peut exercer l’activité correspondant à son objet dans le strict cadre des lois en vigueur.

B – Les compétences des préfets en matière d’associations cultuelles

Vingt-huit ans après la décision du Conseil Constitutionnel (n° 71-44 DC du 16 juillet 1971) qui a reconnu la valeur constitutionnelle de la liberté d’association, certaines préfectures s’interrogent sur ses conséquences et la portée de cette décision.
Le Conseil constitutionnel a estimé que « la constitution d’associations, alors même que celles-ci paraîtraient entachées de nullité ou auraient un objet illicite, ne peut être soumise pour sa validité à l’intervention préalable de l’autorité administrative ou même de l’autorité judiciaire ». Cela n’interdit pas d’enquêter ou de solliciter des renseignements sur une association dont l’objet déclaré peut entraîner des troubles à l’ordre public et, le cas échéant, engager une action en nullité auprès du Tribunal de Grande Instance sur le fondement de l’article 3 de la loi du 1er juillet 1901 relative au contrat d’association.
Ainsi, récuser la qualité d’association cultuelle, déclarée par une association en préfecture, est illégal, car contraire à la décision du Conseil constitutionnel du 16 juillet 1971 précitée.
Le terme « cultuel » n’a pas de valeur juridique particulière au moment de la déclaration et n’est pas réservé à une quelconque association puisque « la République ne reconnaît aucun culte » (loi du 9 décembre 1905 concernant la séparation des Eglises et de l’Etat).
Le mot « cultuel » n’acquiert de valeur juridique que si l’association concernée le revendique au regard des avantages fiscaux qu’il confère et de l’acceptation des dons et des legs qu’autorise cette qualification, sur le fondement :

de la loi du 25 décembre 1942 modifiant la loi du 9 décembre 1905 et permettant aux associations cultuelles à recevoir des libéralités ;

de la loi du 23 juillet 1987 sur le développement du mécénat (devenu les articles 200 et 238 bis du code général des impôts) permettant aux bienfaiteurs des associations cultuelles de déduire un pourcentage déterminé de leurs versements dans une certaine limite de leurs revenus ;

de l’article 1382 du code général des impôts prévoyant l’exonération de la taxe foncière sur les propriétés bâties affectées à l’exercice du culte appartenant aux associations cultuelles.

Il est vrai que la loi du 9 décembre 1905 concernant la séparation des Eglises et de l’Etat ne prévoyait dans sa rédaction originelle l’attribution d’aucun avantage particulier par rapport aux autres associations déclarées. Ce n’est qu’ultérieurement, à l’occasion de sa modification par la loi du 25 décembre 1942 et par la loi du 23 juillet 1987 précitées, que les pouvoirs publics ont exercé un contrôle sur les groupements demandeurs, en contrepartie des avantages qui leur étaient consentis.
C’est pourquoi, l’on utilise dans la terminologie administrative, par abus de langage, le terme « reconnaissance d’association cultuelle ». En réalité, l’autorité administrative décide ponctuellement que telle association présente un caractère cultuel.

Précisons qu’au regard de la jurisprudence administrative (C.E. 1er février 1985, association chrétienne « les Témoins de Jéhovah de France »), l’association qui sollicite dans ce but le statut d’association cultuelle doit remplir trois conditions pour recevoir des dons et legs :

l’association doit être consacrée à l’exercice d’un culte (sans distinction aucune) ;

l’objet de l’association doit être exclusivement consacré à l’exercice de ce culte ;

enfin, l’objet statutaire comme l’activité effective de l’association ne doivent pas
porter atteinte à l’ordre public.

A cet égard, la qualification de « mouvement sectaire » donnée à une association par les différents rapports parlementaires ne saurait révéler à elle seule un quelconque trouble à l’ordre public (Cour Administrative d’Appel de Lyon, 6 octobre 1999, association locale pour cultes des Témoins de Jéhovah de Riom, et Cour Administrative d’Appel de Marseille, 5 octobre 1999, Ministre de l’Economie, des Finances et de l’Industrie).
C’est dans le respect de ces principes que les préfets sont compétents pour autoriser par arrêté les associations cultuelles, à accepter les dons et legs qui leur sont consentis (article 1er du décret du 13 juin 1966 relatif à la tutelle administrative des associations, fondations et congrégations), à délivrer les reçus fiscaux aux bienfaiteurs souhaitant bénéficier des dispositions des articles 200 et 238 bis du code général des impôts et à bénéficier des dispositions de l’article 1382 du code général des impôts prévoyant l’exonération de la taxe foncière sur les propriétés bâties affectées à l’exercice du culte. Ces autorisations peuvent, ainsi, être considérées comme le constat « ponctuel » du caractère cultuel d’une association.
Je vous demande de me faire connaître le bilan des mesures ou initiatives entreprises dans votre région ou département dans le cadre de l’application de mes instructions du 7 novembre 1997 précitées.
Vous voudrez bien m’adresser, sous le timbre de la Direction des libertés Publiques et des Affaires Juridiques et celui de la Direction Générale de la Police Nationale, les comptes rendus des réunions de la cellule départementale et de toute autre réunion que vous aurez éventuellement organisée.
Vous voudrez bien également me rendre compte régulièrement, sous le présent timbre, des difficultés que vous pourriez rencontrer dans l’application de ces présentes instructions.

Jean-Pierre CHEVENEMENT